Introduction

L’articulation acromio-claviculaire est fréquemment atteinte lors de traumatismes affectant l’épaule. La luxation acromio-claviculaire, et tout particulièrement son traitement, reste toutefois un sujet de discorde permanent et ce depuis le début des écrits médicaux.1
Le traitement des pathologies acromio-claviculaires a évolué au fil du temps et changé en relation avec les connaissances biomécaniques de l’articulation.
Entre les années 1940-1960, le traitement chirurgical était de mise pour toutes les pathologies acromio-claviculaires, quel que soit le stade.
Par la suite, les luxations acromio-claviculaires ont été reclassifiées et les indications chirurgicales revues à la baisse.
Actuellement, les traitements conservateurs ont largement remplacé les indications opératoires et les résultats subjectifs et objectifs sont meilleurs.
Cet article, destiné en premier lieu aux praticiens de premier recours, a pour but de préciser les connaissances actuelles quant à la pathologie, au diagnostic et à la prise en charge des entorses acromio-claviculaires.

Épidémiologie

Les luxations acromio-claviculaires représentent environ 10% des luxations survenant au niveau de la ceinture scapulaire. La prévalence est de 3 à 4 pour 100 000 habitants/an. Le pic se situe dans la troisième décennie et touche cinq hommes pour une femme. La causalité est le plus souvent due à un traumatisme latéral sur le moignon de l’épaule (chute ou contact lors de la pratique des sports à risques). Les sports les plus souvent incriminés sont le rugby, le judo, le hockey sur glace, l’haltérophilie et la gymnastique artistique.1-4

Anatomie et biomécanique

L’articulation acromio-claviculaire est une diarthrodie avec un ménisque fibrocartilagineux qui, à partir de la quatrième décennie, commence à montrer des signes de dégénérescence.3 L’innervation de l’articulation provient de branches du nerf axillaire, du nerf suprascapulaire et du nerf pectoral latéral. L’articulation est plus large que haute (19 mm de largeur et 9 mm de hauteur). Le ligament acromio-claviculaire est circonférentiel et constitué de fibres antérieures, postérieures, supérieures et inférieures. Les fibres supérieures, qui sont les plus résistantes, sont encore renforcées par le fascia du complexe deltoïde-trapèze. Le ligament acromio-claviculaire constitue le principal stabilisateur de l’articulation dans le plan antéropos-térieur.5-7
Les ligaments coraco-claviculaires (ligament trapézoïde et ligament conoïde) ont leur origine à la partie inférieure et latérale de la clavicule et s’insèrent à la base de l’apophyse coracoïde. Le ligament trapézoïde est latéral au ligament conoïde et son insertion sur la coracoïde est plus antérieure (figure 1).
Figure 1

Anatomie ligamentaire de l’articulation acromio-claviculaire

1. Ligament acromio-claviculaire ; 2. Ligament trapézoïde ; 3. Ligament conoïde ; 4. Ligament coraco-acromial.
Lors de la flexion de l’épaule, la clavicule tourne sur son grand axe vers l’arrière, ce qui a pour effet de mettre en tension les fibres du trapézoïde et de détendre le ligament conoïde. Durant l’extension, la clavicule tourne en avant, ce qui tend le ligament conoïde et relâche le ligament trapézoïde. Les ligaments coraco-claviculaires constituent les principaux stabilisateurs de l’articulation acromio-claviculaire dans le plan frontal (plan supéro-inférieur).8 Cependant, le ligament trapézoïde s’oppose également à la translation postérieure et le ligament conoïde à la translation antérieure.3,9

Mécanisme traumatique

L’impact direct sur le moignon de l’épaule en position d’adduction constitue le principal mécanisme traumatique de l’articulation acromio-claviculaire. Dans cette situation, les forces partent de l’acromion et se propagent en directions médiale et inférieure.
La chronologie des structures touchées et leur degré d’atteinte varient avec l’intensité du traumatisme. Bearn10 a démontré que si les forces augmentent, celles-ci lèsent (distension puis déchirure) dans un premier temps le ligament acromio-claviculaire. Dans un second temps, les ligaments coraco-claviculaires sont touchés. Il s’agit alors d’une véritable luxation acromio-claviculaire. Si les contraintes augmentent encore, les insertions du deltoïde et du trapèze sont lésées, et la clavicule se trouve alors dans le tissu sous-cutané.
Le mécanisme traumatique des rares luxations de stade 6, avec dislocation sous la coracoïde, est différent. Celles-ci peuvent se produire lors de chocs directs et violents dans l’axe de la clavicule, le bras en abduction.

Classification

La classification de Rockwood (figure 2) est actuellement la plus populaire et la plus adaptée. 11 Elle associe un stade à un niveau lésionnel ligamentaire (tableau 1). Elle reprend les trois premiers stades de l’ancienne classification de Tossy12 et définit plus précisément les lésions graves. Elle a l’avantage également de permettre d’établir un schéma thérapeutique.
Figure 2

Schéma des lésions acromio-claviculaires selon Rockwood (stades)

Tableau 1
Stades de la classification de Rockwood et niveau lésionnel des ligaments
Stade 1 Etirement du ligament acromio-claviculaire Stade 2 Déchirure du ligament acromio-claviculaire Stade 3 Déchirure du ligament acromio-claviculaire et des ligaments coraco-claviculaire Stade 4 Idem stade 3 Avec luxation postérieure de la clavicule, au travers du muscle trapèze Stade 5 Idem stade 3 Avec désinsertion des muscles trapèze et deltoïde de la clavicule distale Stade 6 Idem stade 3 Avec luxation inférieure de la clavicule, sous la coracoïde

Examen clinique

Lorsqu’une pathologie acromio-claviculaire est suspectée, l’idéal est de pouvoir examiner le patient en position debout ou assise. De cette façon, le poids du bras entraîne une déformation plus importante.
Dans le stade 1, il existe une douleur et une tuméfaction en regard de l’articulation acromio-claviculaire, qui peuvent irradier dans la région du cou, du trapèze et du deltoïde. Il n’y a pas d’asymétrie ni de laxité tant antéro-postérieure que supéro-inférieure.
Dans le stade 2, il existe une douleur et une tuméfaction en regard de l’acromio-claviculaire. La clavicule reste globalement solidaire à l’omoplate, mais il existe une augmentation de la laxité antéro-postérieure.
Dans le stade 3, il existe une véritable luxation acromio-claviculaire (figure 3), provoquée par une atteinte complète des ligaments coraco-claviculaires (coronoïde, trapézoïde) et acromio-claviculaires. Il existe une augmentation de laxité antéro-inférieure et supéro-inférieure, « touche de piano ». Ce qui est important pour le stade 3 et les suivants est la dissociation entre la clavicule et l’omoplate. Pour la mettre spécifiquement en évidence, nous réalisons la manœuvre du tiroir antéro-postérieur de l’épaule avec réduction de la luxation pendant le tiroir postérieur (figure 4). La rotation externe de l’épaule contre résistance permet également de mettre en évidence la dissociation omo-claviculaire. Cette manœuvre induit une translation antérieure de la tête humérale avec décollement scapulaire.
Figure 3

Aspect clinique d’une luxation acromio-claviculaire stade 3

Figure 4

Mise en évidence de la dissociation entre l’omoplate et la clavicule

A. Lors du tiroir antérieur, l’acromion (1) (et l’omoplate) sont translatés antérieurement et l’extrémité de la clavicule fait saillie postérieurement (2).
B. Lors du tiroir postérieur, l’extrémité distale de la clavicule (2) fait face à l’acromion (1) (position de réduction).
Dès le stade 4, la luxation acromio-claviculaire est irréductible. Dans le stade 4, il existe une luxation postérieure de la clavicule qui perfore le muscle trapèze.13
Dans le stade 5, il se produit une désinsertion du deltoïde et du trapèze sur la clavicule distale qui se trouve alors dans le tissu sous-cutané.
Dans le stade 6, il existe une luxation inférieure avec la clavicule qui est passée sous l’apophyse coracoïde, le tendon biceps et le coraco-brachial.

Bilan radiologique

Il est indispensable de procéder à un bilan radiologique, essentiellement pour éliminer une fracture distale de la clavicule.
Les radiographies de stress, le patient tenant des poids dans chaque main, ne sont en général plus nécessaires, le diagnostic est principalement clinique.
Nous demandons un bilan radiologique standard de l’épaule traumatisée, avec une incidence d’épaule de face, Neer ou axiale. Une incidence complémentaire de Zanca,14 centrée sur l’articulation acromio-claviculaire avec une inclinaison céphalique de 10-15°, permet d’objectiver une pathologie dégénérative intercurrente (figure 5).
Figure 5

L’incidence radiologique de Zanca permet de visualiser spécifiquement l’articulation acromio-claviculaire

Traitement

Les stades 1 et 2 ne nécessitent pas de traitement chirurgical en phase aiguë. Le port d’une écharpe ou d’un gilet orthopédique à but antalgique pendant une à deux semaines, associé à des antalgiques ou des anti-inflammatoires constitue la base du traitement. La reprise des activités sportives se fait dès que les douleurs ont disparu.2,15
L’indication chirurgicale pour les stades 1 et 2 intervient dans les cas chroniques présentant une arthropathie acromio-claviculaire post-traumatique. Nous réalisons alors, après infiltration, un test sous fluoroscopie de l’articulation acromio-claviculaire, une résection de la clavicule distale par arthroscopie, sans geste complémentaire de stabilisation.
La prise en charge des stades 3 reste la plus controversée. La littérature actuelle ne montre pas de réels avantages à une prise en charge chirurgicale en phase aiguë. Il a été démontré que 80% des patients évoluent favorablement après un traitement conservateur.16-18
Nous traitons la plupart des stades 3 par une écharpe ou gilet orthopédique à but antalgique pour une à deux semaines. Nous y associons des antalgiques et anti-inflammatoires et encourageons le patient à mobiliser son épaule progressivement. La reprise des activités sportives peut en général être tentée à six semaines.
Le traitement chirurgical est réservé aux cas qui présentent, après un traitement conservateur minimal de trois mois, des douleurs locales résiduelles ou du trapèze et des stabilisateurs de l’omoplate.
En ce qui concerne les stades 4 à 6, la prise en charge est d’emblée chirurgicale avec réduction ouverte associée à un geste de stabilisation de l’articulation acromio-claviculaire.

Options chirurgicales

Comme souvent en orthopédie, il existe plusieurs opérations à choix pour une même pathologie. Elles n’ont certes pas toutes fait l’objet d’études mais chacune possède des avantages et inconvénients. Actuellement, il n’existe pas de données fondées sur les preuves (evidence based medicine) concernant les techniques de stabilisations acromio-claviculaires.
En voici quelques exemples :
• le simple brochage-haubannage acromio-claviculaire, décrit par Julliard et Bèzes, n’apparaît pas suffisant sur le plan biomécanique. De plus, les complications décrites se sont avérées parfois redoutables.19
• Le vissage coraco-claviculaire selon Bosworth entraîne bien souvent une rupture du matériel, due à la rigidité de l’implant.20
• Le laçage coraco-claviculaire simple, avec utilisation de matériaux résorbables ou non (bandelettes de PDS ou renforts synthétiques) est insuffisant mécaniquement parlant avec parfois une tolérance locale médiocre.21,22
• Les ligamentoplasties sont de plusieurs types. La technique de Dewar et Barrington consiste en un transfert de la pointe de la coracoïde sur laquelle sont conservées les insertions du petit pectoral et du coraco-brachial. La pointe de la coracoïde est fixée à la partie antérieure de la clavicule par une vis.

Notre choix

Nous utilisons une ligamentoplastie, selon la technique de Weaver-Dunn, qui consiste en un transfert du ligament coraco-acromial, avec pastille osseuse de l’acromion, sur la clavicule distale. Nous protégeons la plastie par des fils ancrés sur l’apophyse coracoïde dont l’un est passé en transosseux dans la partie antérieure de la clavicule distale et l’autre est fixé autour de celle-ci.23-25
En postopératoire, le patient est immobilisé pendant six semaines dans un gilet orthopédique. Dès la sixième jusqu’à la douzième semaine, la physiothérapie s’effectue progressivement. Les activités sportives légères peuvent débuter dès le quatrième mois et les sports à risques après six mois.

Conclusions et implications pratiques

Lors de lésions acromio-claviculaires, une démarche diagnostique et thérapeutique claire et consensuelle permet de limiter les risques et complications. Actuellement, les luxations stades 1, 2 et 3 sont en principe traitées de manière conservatrice en phase aiguë. Il reste une place pour les prises en charge chirurgicales initiales lors de luxations aux stades 4 à 6. Les patients au stade 3, souffrant de douleurs principalement du trapèze et des stabilisateurs de l’omoplate, peuvent bénéficier d’une stabilisation acromio-claviculaire selon Weaver-Dunn avec de bons résultats fonctionnels et subjectifs.