Prothèse totale de genou/rééducation
Les douze points-clés de la rééducation après une prothèse totale de genou
Rev Med Suisse 2012;2438-2444
Résumé
Le suivi de la rééducation d’une prothèse totale de genou (PTG) incombe de plus en plus au médecin de famille. Plusieurs facteurs y contribuent : le nombre de PTG ne cesse de croître, les durées de séjour hospitalier diminuent et la rééducation d’une arthroplastie du genou nécessite le plus souvent une prise en charge prolongée sur 3-4 mois. Passé ce délai, il est aussi capital de favoriser une reprise et une poursuite des activités physiques afin de limiter les effets délétères de la sédentarité. Cet article a comme objectif de donner aux médecins de famille les connaissances actuelles en matière de rééducation après PTG.
Introduction
En Suisse, on est passé d’un peu plus de 10 000 prothèses totales de genou (PTG) implantées en 2005 à plus de 15 000 en 2010.1 Le vieillissement de la population, l’augmentation des sports de loisir et des accidents au niveau du genou, l’augmentation du nombre de personnes en surpoids, l’extension des indications, toutes ces raisons signifient que le nombre de PTG va continuer de croître.2 Parallèlement, les durées de séjour hospitalier raccourcissent, ce qui induit une prise en charge ambulatoire précoce, prolongée, souvent sans passage en centre de réadaptation. Cette tendance a aussi toutes les chances de s’accentuer ces prochaines années. Le rôle du médecin de premier recours est donc capital. L’objectif de cet article est de faire connaître les tendances actuelles dans la rééducation d’un patient après PTG. Ces connaissances sont présentées sous la forme de douze points-clés.
Facteurs personnels susceptibles d’influencer la rééducation après prothèse totale de genou
Ils sont divisés en facteurs généraux (ceux qui touchent la personne dans son entier) et facteurs locaux (ceux qui concernent le genou et son environnement).3 Sur le plan général, nombreux sont ceux qui ont été étudiés : en particulier, l’âge, le genre, les comorbidités et l’obésité. Quelques études ont également été consacrées à l’influence des facteurs psychologiques et contextuels. Les principaux résultats sont décrits dans le tableau 1. C’est surtout la conjonction de ces différents facteurs qui influence la rééducation et le résultat fonctionnel. Localement,4 la mobilité et la force musculaire ont bénéficié de la plus grande attention. En particulier, la présence d’un flexum (> 10˚) peut avoir des conséquences désastreuses. Sans renforcement prolongé, le déficit de force, qui peut facilement atteindre 50-60%, perdurera après PTG. Il ne faut pas non plus oublier les antécédents locaux et le membre controlatéral (tableau 2).
Et la douleur ?
La douleur est le principal facteur susceptible de ralentir la rééducation5,6 tant dans sa phase hospitalière qu’ambulatoire. Une bonne gestion de la douleur semble capitale. La nécessité d’un recours préopératoire à une antalgie de classe 2 à 3 limiterait également la capacité du patient à suivre une rééducation accélérée.
Deux tests fonctionnels incontournables
La force est un facteur pronostique clé des capacités fonctionnelles. Deux tests simples, bien corrélés à la force du patient et à son degré de dépendance, sont aisément réalisables (sans matériel particulier) au cabinet.4 D’abord, se relever d’une chaise, marcher trois mètres (figure 1A), puis revenir s’asseoir (timed up ang go-3 meter). Ensuite, se relever et s’asseoir sur une chaise à cinq reprises (figure 1B) sans l’aide des mains (5-chair rise test). Leur réalisation pourrait permettre au médecin traitant un dépistage et un suivi de patients avec d’importantes déficiences, susceptibles de bénéficier d’un renforcement prolongé.
Est-il possible d’améliorer les résultats par une prise en charge préopératoire ?
Le bénéfice d’une éducation préopératoire n’est pas définitivement établi. Certains résultats semblent encourageants.7En particulier, les patients anxieux seraient ceux qui bénéficieraient le plus d’une information structurée. Les meilleurs modes d’administration, contenus et durée restent à définir. Il n’y a pas, pour le moment, de base scientifique à une prescription de physiothérapie préopératoire, en particulier systématique,8 même si certaines études semblent montrer un bénéfice à court terme. Pour les patients les plus fragiles (par exemple ceux qui présentent une conjonction de facteurs défavorables), une prise en charge préopératoire semble néanmoins utile, mais davantage dans le cadre d’une approche globale plutôt que d’une simple ordonnance de physiothérapie. Dans des pays avec des listes d’attente prolongée, des protocoles de recherche sont en cours qui permettront peut-être de répondre prochainement à cette question.
Ce qui attend le patient pendant la phase hospitalière précoce
Les durées de séjour raccourcissent et raccourciront encore.9,10 En effet, en comparaison internationale, la Suisse bénéficie d’une situation confortable et donc d’une marge importante d’évolution... La rééducation active commence dès J1 (le lendemain de l’opération), avec une tendance à démarrer dès J0,6 même si cette pratique ne s’est pas encore implantée, à notre connaissance, dans la plupart des hôpitaux. La mobilisation passive continue sur attelle motorisée (kinetec par exemple), longtemps considérée comme essentielle, est en voie progressive d’abandon. Une récente revue Cochrane en a probablement sonné le glas.11 De nombreuses études ont montré l’absence de bénéfice durable, comme en témoigne la figure 2.12 L’utilisation d’orthèses en extension dans la phase postopératoire précoce semble aussi abandonnée progressivement. D’une manière générale, l’accent est mis sur une prise en charge active dont les objectifs sont : niveau de douleur gérable à domicile, acquisition d’une mobilité et de capacités fonctionnelles de base permettant le retour à domicile. Par exemple, les escaliers ne seront exercés que si nécessaire.
L’évaluation en ergothérapie : une nouvelle tendance ?
Jusqu’à présent réservée aux arthroplasties de hanche, celle-ci n’est pas réalisée de routine après une prothèse de genou. Néanmoins, des travaux épidémiologiques13 ont montré que les patients retournés à domicile présentent plus de difficultés qu’une population appariée du même âge pour diverses activités : se pencher en avant pour saisir un objet, se couper les ongles des pieds, transporter cinq kilos, se relever d’une chaise, etc., certaines de ces incapacités pouvant perdurer à deux ans (figure 3). Il existe donc vraisemblablement une place pour une évaluation ciblée d’ergothérapie en vue de la prescription de moyens auxiliaires, soit pendant le séjour hospitalier, soit par le médecin traitant.
Quels sont les critères de sortie des soins aigus ?
Il n’existe pas de critères universellement retenus. Sur la base de la littérature et de la pratique, voici les plus utiles : indépendance pour les transferts, pour se lever et s’asseoir, pour la marche (au moins 30 mètres), pour la toilette et pour l’habillage, escaliers si nécessaire, niveau de douleur acceptable (généralement : ≤ 4/10), une médication antalgique uniquement orale, connaissance des consignes pour adapter le traitement, pas de complication de plaie, connaissance du programme d’exercices à domicile. Récemment, notre service a adopté le Cumulated Ambulation Score (CAS),6,14 qui permet de suivre en un coup d’œil l’évolution de la fonction et de la douleur au lit du malade (figure 4). Nous utilisons encore le critère d’une flexion passive à 90˚ et de l’absence de flexum.
Quels sont les critères d’admission en réadaptation après prothèse totale de genou ?
Une raideur rebelle postopératoire (en particulier, un flexum de plus de 10˚), les comorbidités (si elles nécessitent un suivi médical rapproché), le degré de dépendance, l’isolement, l’âge et l’avis du chirurgien sont les facteurs que l’on retrouve dans la littérature.15 En Suisse, l’admission en réadaptation nécessite l’accord du médecin-conseil. Ceci a fait l’objet d’un consensus entre la Société suisse des médecins-conseil et celle de chirurgie orthopédique. C’est la raideur du genou qui est le principal critère retenu, suivie des comorbidités, éventuellement les facteurs environnementaux. On rappelle l’alternative d’une cure, les frais hôteliers étant à la charge du patient (grande variation entre assurances !). En cas de litige, c’est toujours le contact direct qu’il faut privilégier, voire le téléphone du patient à son assureur.
Prescription de la physiothérapie ambulatoire après prothèse totale de genou
Une physiothérapie ambulatoire prolongée, associée à des exercices fonctionnels à réaliser à domicile, est nécessaire16 et bénéficie d’un niveau de preuves élevé (plusieurs études randomisées contrôlées et une méta-analyse). Cette dernière17 conclut que la poursuite de la physiothérapie et des exercices, pendant trois à quatre mois, a un effet bénéfique (faible à modéré) sur la fonction, la mobilité et la qualité de vie, même si l’effet à long terme semble disparaître. Une prise en charge à un rythme soutenu (idéalement 4-5 fois par semaine), pendant les six premières semaines postopératoires, est nécessaire à une récupération rapide de la mobilité préopératoire du genou. Le médecin traitant joue donc un rôle central pour l’éducation thérapeutique et la poursuite de la prescription de la physiothérapie, avec comme objectifs un gain d’amplitude et une amélioration de la fonction musculaire, non seulement ciblée sur le quadriceps, mais aussi sur la musculature fessière et les ischio-jambiers. Le rôle du physiothérapeute est également majeur. On attend de lui qu’il joue non seulement son rôle de spécialiste de la rééducation fonctionnelle, mais aussi celui d’éducateur et d’entraîneur pour favoriser le transfert des exercices et activités physiques dans la vie quotidienne. A ce titre, l’espacement progressif des séances (par exemple : une fois toutes les deux semaines en fin de prise en charge) permet de suivre plus longtemps le patient.
Exercices à domicile
Ils sont essentiels.18 En fonction de l’évolution du patient, ils doivent être adaptés en termes de difficulté, nombre de répétitions, nombre de séries. Initialement, le patient reçoit des consignes afin d’améliorer la circulation et le drainage (flexion/extension répétées des deux pieds au lit), des exercices de marche (utilisation d’une flexion suffisante du genou, longueur du pas, utilisation de l’extension de hanche). Des exercices de renforcement, mobilisation, étirements et proprioception sont introduits progressivement (figures 5, 6 et 7). La connaissance d’un certain nombre de ces exercices par le médecin traitant, notamment ceux illustrés ici, permet de conseiller le patient et favoriser son adhésion.
Reprise des activités physiques dans la vie quotidienne
Il est possible de reprendre un niveau d’activité élevé après PTG, mais peu de patients dépassent leur niveau antérieur. En fait, la plupart n’atteignent pas le niveau d’activité ou les capacités de marche d’un sujet sain du même âge.19,20 Si, en raison de l’inactivité, beaucoup de patients prennent du poids avant d’être opérés, les études montrent malheureusement que celui-ci reste stable, voire continue d’augmenter après PTG, particulièrement chez les patients déjà en surpoids.21 La pose d’une PTG est donc insuffisante pour espérer inverser la tendance. La promotion de l’activité physique par le médecin traitant et les thérapeutes est capitale. En premier lieu, dès que le patient a retrouvé une mobilité satisfaisante, un niveau de douleur acceptable, la marche doit être encouragée, ainsi que la pratique du vélo stationnaire, puis du vélo de route si le patient le désire. Des activités en piscine sont également recommandées. D’un autre côté, il faut rappeler qu’une activité physique excessive, en particulier en cas d’impacts répétés, favorise une usure prématurée du polyéthylène qui tient la place du «cartilage», voire un descellement prothétique.
Et pour certains... la reprise du sport
En dépit d’un intérêt certain pour le sujet et de nombreuses publications et communications, le niveau de preuves pour déterminer la reprise des activités athlétiques après PTG reste excessivement bas. Les principaux critères de décision sont, à l’heure actuelle, l’avis du chirurgien et l’expérience du patient, antérieure à l’arthroplastie.22 En dehors de la marche et du vélo de route déjà mentionnés, il ressort des recommandations actuelles que la randonnée, la danse, le bowling, le golf... peuvent être recommandés sans restriction. Les sports qui peuvent être pratiqués si le patient en a l’expérience suffisante sont par exemple le patin, le ski de fond, le ski alpin sur neige damée, l’aviron, le tennis en double, l’équitation...
Conclusion
De solides connaissances de base en rééducation après arthroplastie du genou sont utiles au médecin de premier recours. En effet, le nombre d’opérations ne cesse de croître et la durée des séjours hospitaliers diminue. Comme la plupart des patients nécessitent une prise en charge sur plusieurs mois, le rôle du médecin est capital afin de dépister et traiter les facteurs qui influencent le résultat fonctionnel, prescrire la physiothérapie sur un rythme soutenu sans interruption les premières semaines. A plus long terme, il doit également encourager la réalisation d’activités physiques adaptées.
Implications pratiques
> De multiples facteurs influencent le résultat après une prothèse totale de genou. La douleur est le principal facteur susceptible de ralentir la rééducation
> La fonction et le degré de dépendance peuvent être évalués par des tests simples
> Une prise en charge préopératoire n’est pas justifiée systématiquement, mais elle pourrait être utile chez les patients les plus fragiles
> La rééducation hospitalière précoce s’accélère et les durées de séjour diminuent
> Certains patients pourraient bénéficier d’une évaluation en ergothérapie
> Les critères de sortie des soins aigus se fondent principalement sur l’acquisition d’une autonomie dans les activités de base de la vie quotidienne
> L’admission en réadaptation nécessite l’accord de l’assurance
> La physiothérapie à un rythme soutenu, notamment pendant les six premières semaines postopératoires, est nécessaire pour une bonne récupération de l’amplitude articulaire
> La prise en charge ambulatoire nécessite le plus souvent une prescription prolongée (3-4 mois) de physiothérapie, avec un espacement progressif des séances
> Un programme d’exercices à domicile doit être enseigné
> La plupart des patients n’atteignent pas le niveau d’activité d’un sujet sain du même âge
> La poursuite des activités physiques, voire la reprise d’un sport adapté, doivent être encouragées
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Bibliographie
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Abstract
The rehabilitation process after total knee arthroplasty (TKA) relies more and more on the family doctor. Many factors contribute to this development : the constantly increasing number of TKA performed, the reduced length of stay at the hospital and the rehabilitation process after TKA requiring care for 3 to 4 months. After this time, it is also of major importance to encourage patients to take up physical activities in order to limit the negative effects of sedentarity. The goal of this paper is to give family doctors an overview of the current knowledge in the area of rehabilitation after TKA for physicians.
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