Reconstruction du ligament croisé antérieur : indications et techniques
Rev Med Suisse 2008;2744-2748
Résumé
Le ligament croisé antérieur (LCA) est un stabilisateur essentiel de l’articulation du genou et est fréquemment déchiré. Les patients peuvent être répartis en deux catégories de risque (faible ou élevé) de devoir subir une intervention ultérieure pour instabilité ou déchirure méniscale. Ce risque dépend du degré de pratique sportive et de la différence de laxité entre le genou sain et le genou lésé. Pour les patients à risque faible (sédentaires, séniors), un traitement conservateur de physiothérapie est proposé. Les patients à risque élevé (jeunes, sportifs) bénéficieront d’une reconstruction chirurgicale du LCA. Les techniques sont multiples et le LCA est reconstruit par arthroscopie avec une auto- ou une allogreffe. La décision finale doit être adaptée à chaque patient selon ses caractéristiques et ses attentes pour élaborer un traitement «à la carte».
Introduction
Le ligament croisé antérieur (LCA) est un stabilisateur essentiel de l’articulation du genou. Il empêche la translation antérieure du tibia par rapport au fémur et agit comme frein secondaire à sa rotation interne.1-3 Il est ainsi très sollicité lors de l’activité sportive, et les sports de pivot, tels que le football, le basket-ball, le snowboard et le ski, sont les premiers pourvoyeurs de rupture du LCA. La reconstruction chirurgicale du LCA, dont le but est de rétablir la stabilité et la biomécanique du genou lésé, est un sujet central en traumatologie du sport. Il a fait l’objet de milliers de publications ces vingt dernières années et est à l’origine de nombreuses controverses. Le but de cet article est de tenter d’éclaircir ce sujet complexe et de proposer une ligne de conduite qui suit la tendance actuelle quant à la prise en charge et au traitement des déchirures du LCA, tout en résumant les principales techniques chirurgicales.
Épidémiologie
En Suisse, les statistiques de la SUVA indiquent que plus de 3300 cas de déchirures du LCA sont déclarés chaque année. Aux Etats-Unis, on recense environ 200 000 ruptures du LCA par an et on estime l’incidence des reconstructions du LCA à 1/2000 habitants.4 Dans notre pays, les sports le plus souvent incriminés sont par ordre décroissant, le football, le ski alpin, le snowboard, le handball, le volley-ball et le basket-ball, et notre service réalise en moyenne 150 ligamentoplasties du LCA par an.
Quels patients opérer ?
La véritable question est en fait «quels patients ne pas opérer» ! Avant toute décision thérapeutique, le médecin se doit d’effectuer une anamnèse complète de l’accident et des habitudes de vie du patient, en particulier s’il pratique des sports de saut ou de pivot.
Il faut ensuite faire un examen clinique des deux genoux du patient et tester le LCA par le test de Lachmann, le tiroir antérieur, le pivot-shift et évaluer objectivement la laxité antérieure des deux genoux avec l’arthromètre KT-1000.
De tous ces éléments, les variables les plus importantes guidant la décision du traitement conservateur versus chirurgical sont : le nombre d’heures par an de sport de classe I et II selon le Comité international de documentation du genou (IKDC) (tableau 1), la différence de laxité au KT-1000 entre le genou lésé et le genou sain,5 l’âge, la profession, et surtout la demande et la personnalité du patient. Fithian et coll.6 ont dressé un algorithme de traitements en classant les patients en trois catégories de risque (faible/modéré/élevé) de devoir subir une intervention chirurgicale ultérieure à cause d’une instabilité symptomatique du genou ou à cause de lésions méniscales subséquentes (tableau 2). Pour les patients à haut risque, une reconstruction du LCA précoce est conseillée (dans les trois mois suite à la déchirure). Pour les patients à faible risque un traitement conservateur est proposé : tous ont bien évolué malgré le fait qu’ils présentent davantage de phénomènes de lâchage, une laxité plus grande à l’arthromètre et au pivot-shift test. Les patients à risque modéré tendent à se comporter comme les patients à haut risque et la plupart d’entre eux nécessitent tôt ou tard une reconstruction du LCA. Un traitement conservateur peut être entrepris dans un premier temps, et en cas d’instabilité invalidante, une reconstruction du LCA doit être envisagée.
En ce qui concerne les patients de plus de 40 ans, la majorité évolue favorablement avec un traitement conservateur bien conduit, mais ceux pratiquant des sports de pivot régulièrement et ne voulant pas diminuer ni changer leur pratique sportive bénéficient clairement d’une reconstruction chirurgicale, quel que soit leur âge.7
Le praticien doit être capable de décider d’un traitement conservateur versus chirurgical, et de connaître les tenants et aboutissants de chaque modalité thérapeutique.
Traitement conservateur
En règle générale, le traitement conservateur n’est pas synonyme d’abstention thérapeutique. En effet, par traitement conservateur, on entend un renforcement musculaire par gainage proprioceptif qui aura pour but de suppléer l’absence du LCA. Ce renforcement permet d’obtenir une meilleure stabilisation dynamique du genou. Il consiste à travailler les groupes musculaires des ischio-jambiers et du quadriceps en chaîne fermée et sans impact. De plus, des exercices dynamiques de proprioception travaillant l’équilibre et la stabilité du genou dans diverses situations (debout, saut, marche, course), complètent le travail musculaire.
Dans leur revue des principales études concernant le traitement conservateur du LCA, Muaidi et coll.8 notent de bons résultats. Néanmoins, le recul maximum est généralement de cinq ans, avec des patients qui diminuent en moyenne leur taux d’activité physique de 21%. De plus, le risque de développer des lésions méniscales ou une instabilité chronique du genou s’élève à 20%.
Traitement chirurgical
La reconstruction chirurgicale du LCA s’adresse aux patients jeunes, sportifs de loisir ou d’élite, et à tous ceux qui ont besoin d’une stabilité optimale du genou pour leurs activités quotidiennes et professionnelles. Ainsi, les patients pratiquant des sports de pivot (ski, snowboard) et a fortiori les sports de contact (football, basket-ball, handball, sports de combat), les compétiteurs, les sportifs d’élite quel que soit le sport pratiqué et les travailleurs de force, seront opérés pour rétablir la biomécanique de leur genou lésé.
La reconstruction du LCA est également indiquée lors de lésions associées telles que les atteintes ligamentaires périphériques (ligaments latéraux, ligament postérieur), les déchirures méniscales (le plus souvent médiales) ou les lésions cartilagineuses.
Une fois la décision du traitement chirurgical prise, le chirurgien décidera de la technique opératoire qu’il pratiquera. Voici un aperçu des possibilités actuelles.
Techniques chirurgicales
D’un point de vue général, la ligamentoplastie consiste à remplacer le LCA déchiré par un tendon de voisinage prélevé sur le patient lors de la même intervention, ou occasionnellement par un tendon obtenu dans une banque d’organes. Le greffon ainsi obtenu est implanté en lieu et place du LCA natif sous contrôle arthroscopique, en forant un tunnel fémoral et un tunnel tibial dans lesquels on le fixe à l’aide de vis d’interférence.
Plusieurs types de greffons sont utilisables avec des caractéristiques propres à chacun qui sont résumées dans le tableau 3.
Le greffon le plus utilisé actuellement est encore le tiers central du tendon rotulien prélevé avec une pastille osseuse à chaque extrémité : une rotulienne et une tibiale. Il possède d’excellentes propriétés mécaniques. C’est le greffon de choix pour les patients ayant une haute demande fonctionnelle et qui veulent continuer de pratiquer des sports de contact ou de pivot (figure 1).9 Les complications les plus graves, telles que la rupture de l’appareil extenseur, la fracture patellaire ou la patella baja (rotule basse) existent mais sont rares.
L’utilisation des tendons ischio-jambiers, classiquement les tendons des muscles gracilis et semi-tendineux, associés de manière à former un greffon à quatre faisceaux, est également très courante. La morbidité au site de prélèvement est moindre mais le problème principal réside dans sa fixation et son intégration aux sites d’insertions.10
Le tiers central du tendon quadricipital prélevé avec une pastille osseuse rotulienne est généralement un deuxième choix dans les reconstructions primaires. Il est davantage employé en cas de révision chirurgicale ou lors de reconstructions ligamentaires multiples. Ce greffon a les mêmes propriétés mécaniques que le tendon rotulien.11 Il peut être prélevé sans pastille osseuse rotulienne, ce qui réduit encore la morbidité au site de prélèvement et ainsi que les éventuelles douleurs antérieures de genou. C’est une alternative sûre pour la ligamentoplastie du LCA.12
Les allogreffes, qui sont disponibles dans des banques de tissus, conviennent principalement aux patients de plus de 40 ans en raison de leur faible morbidité, et sont exceptionnellement utilisées chez le patient jeune. Elles sont aussi fort utiles lors des révisions de ligamentoplasties et lors des reconstructions ligamentaires multiples. Elles sont relativement sûres d’un point de vue sanitaire avec un risque de transmissions virale ou bactérienne extrêmement faible, mais qui existe malgré tout. Généralement, on utilise des allogreffes de tendon rotulien avec les deux pastilles osseuses, mais également le tendon d’Achille avec une pastille calcanéenne, le tendon quadricipital, les tendons ischio-jambiers ou encore le tendon jambier postérieur.13
Selon Beasley,14 qui a analysé les résultats parus dans la littérature de ces dix dernières années, la technique chirurgicale utilisée n’a pas d’influence sur la récupération fonctionnelle qui est en moyenne de 85%.
Depuis quelques années, une nouvelle controverse concerne la reconstruction du LCA par une technique à deux faisceaux.15 Le but recherché est de reproduire anatomiquement le LCA natif, qui se constitue de deux faisceaux : un antéro-médial et un postéro-latéral (figure 2).16 Les greffons simples, utilisés jusqu’alors, tendent à reproduire biomécaniquement le faisceau antéro-médial. La complexité du geste chirurgical est majorée par la nécessité d’effectuer deux tunnels fémoraux et deux tunnels tibiaux, ce qui est à l’origine du dicton des détracteurs de cette technique : «double bundle, double troubles». La technique à deux faisceaux doit encore être considérée comme expérimentale.
L’utilisation d’un système de navigation permet également de supprimer la principale source d’erreurs techniques, à savoir la mauvaise implantation des tunnels fémoraux et tibiaux.17 En outre, la navigation permet d’améliorer la précision et la reproductibilité de l’emplacement de ces tunnels.
La technique adoptée dépendra donc principalement des habitudes et de l’expérience du chirurgien.
Notre choix
Nous proposons une reconstruction chirurgicale du LCA à tous nos patients sportifs amateurs ou d’élite et aux travailleurs de force. La décision du traitement est basée sur l’intensité de la pratique sportive du patient, la différence de laxité antérieure mesurée au KT-1000, les éventuelles lésions annexes méniscales ou ligamentaires, et aussi beaucoup sur les attentes et la motivation du patient. Nous ne fixons pas de limite d’âge car certains patients jeunes et sédentaires évoluent favorablement avec un traitement conservateur bien conduit, alors que d’autres plus âgés mais très sportifs et désirant le rester nécessitent sans équivoque une reconstruction du LCA. Ainsi, la décision thérapeutique se fait véritablement «à la carte», en fonction de chaque patient. La chirurgie est programmée entre deux et douze semaines après le traumatisme, et une physiothérapie de renforcement musculaire du membre inférieur est débutée immédiatement en prévision de l’intervention.
Comme greffon, nous utilisons principalement le tiers central du tendon rotulien, surtout pour les footballeurs, et le tiers central du tendon quadricipital, préféré pour les skieurs. Occasionnellement, nous utilisons les tendons des ischio-jambiers, notamment pour des raisons esthétiques chez les femmes. Nous avons recours aux allogreffes uniquement dans les cas exceptionnels ou lors de reconstruction ligamentaire multiple chez un même patient.
Conclusion
La déchirure du LCA est une pathologie très fréquente. L’indication à sa reconstruction est déterminée par le risque de lésions secondaires, lié à la laxité du genou lésé et au degré d’activité du patient. Cependant, la décision finale du traitement doit se faire au cas par cas, «à la carte», par le chirurgien qui s’orientera vers la technique de ligamentoplastie la plus adaptée aux demandes du patient.
Implications pratiques
> Les patients ayant une déchirure du ligament croisé antérieur (LCA) sont à risque, faible versus élevé, de devoir subir une intervention chirurgicale ultérieure à cause d’une instabilité symptomatique du genou. Ce risque dépend de la différence de laxité entre le genou lésé et le genou sain, du nombre d’heures et du type d’activités sportives pratiquées
> Les patients à risque faible bénéficient d’un traitement conservateur de physiothérapie. Les patients à risque élevé bénéficient d’une reconstruction précoce du LCA par le greffon le plus adapté (tableau 3)
> Le traitement final doit être adapté au cas par cas et prendre en compte la motivation et la compliance du patient afin d’élaborer un traitement «à la carte»
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