Syndrome radiculaire par hernie discale lombaire
Résumé
Les connaissances concernant le syndrome radiculaire par hernie discale lombaire se sont fortement accrues ces dernières années. La physiopathologie est mieux identifiée et de nouveaux traitements sont en investigation. La place et l’efficacité de la chirurgie ont également fait l’objet d’études de haute qualité. Cet article est une mise au point pratique pour le médecin de premier recours.
Introduction
La lomboradiculalgie (sciatique) est l’un des rares syndromes lombaires (avec la claudication intermittente neurogène) à être relativement bien caractérisée pour autant que l’on s’accorde sur le fait que ce terme fait référence à un syndrome radiculaire par hernie discale (HD) lombaire et non pas à n’importe quelle douleur irradiant dans le membre inférieur. Sa position entre lombalgie spécifique et lombalgie non spécifique n’est pas toujours très claire. D’un côté, ces patients sont parfois inclus dans les essais thérapeutiques et les recommandations publiées sur la prise en charge des lombalgies communes et de l’autre, la recherche d’un déficit neurologique, qui vient parfois compliquer la sciatique, fait partie des signaux d’alerte en faveur d’une lombalgie spécifique. De nombreux développements physiopathologiques et, dans une moindre mesure thérapeutique, ont eu lieu ces dernières années et méritent une revue.
Définition
Il n’existe pas de critère diagnostique unanimement reconnu de la lomboradiculalgie par hernie discale et l’hétérogénéité des critères d’éligibilité utilisés dans les études a récemment été soulignée.1 La définition utilisée dans l’étude de Weinstein2 est l’une des plus complètes et donne un bon aperçu au clinicien (tableau 1 ). Si une imagerie (CT-scan ou IRM) est réalisée (ce qui n’est pas nécessaire lorsque l’évolution clinique est favorable), une hernie discale doit être retrouvée en contact avec la racine nerveuse identifiée lors de l’examen clinique.
Épidémiologie
L’absence de critères diagnostiques rend hasardeuses nombre d’enquêtes épidémiologiques. Une revue récente fait état d’une prévalence comprise entre 1,2 et 43%.3 Ce dernier chiffre fait en réalité référence à la présence de n’importe quel type d’irradiation dans le membre inférieur. Lorsque des critères plus rigoureux sont pris en compte, environ 2% de la population déclarent avoir eu les symptômes correspondants durant l’année écoulée.4
Physiopathologie
Depuis la mise en évidence de la hernie discale en 1934, le syndrome radiculaire a été considéré comme une pathologie liée à la compression mécanique d’une racine nerveuse. Cependant, l’accumulation d’éléments contradictoires a entraîné l’émergence d’hypothèses alternatives dont la plus en vogue postule la présence d’un ou plusieurs facteurs biochimiques à l’origine d’une inflammation radiculaire. On sait en effet que la pression sur une racine saine est indolore alors que la même pression sur une racine tuméfiée produit des douleurs radiculaires. Inflammation et hernie discale semblent donc être deux éléments nécessaires à la survenue du syndrome radiculaire.
Suite à de nombreux travaux réalisés sur des modèles animaux5 et à des données plus récentes chez l’homme,6 le facteur de nécrose tumorale (TNF)-α a émergé comme une des principales molécules impliquées dans ce syndrome avec, en corollaire, la possibilité d’une nouvelle cible thérapeutique. Deux études non contrôlées ont suggéré que l’administration d’inhibiteurs du TNF-α aurait une excellente efficacité chez des patients avec syndromes sciatiques sévères.7,8 Une première étude randomisée et contrôlée évaluant l’efficacité d’une injection intraveineuse unique d’infliximab (Remicade) n’a pas rapporté d’effet. Une seconde, évaluant l’efficacité de deux injections souscutanées d’adalimumab (Humira), un autre anticorps monoclonal contre le TNF-α, a récemment été présentée.9 Les résultats sont suffisamment prometteurs pour soutenir l’hypothèse d’un rôle du TNF-α dans ce syndrome et encourager la poursuite d’études pour mieux définir la place de ces traitements dans cette indication.
Diagnostic et diagnostic différentiel
Le diagnostic de syndrome radiculaire est avant tout clinique (tableau 1 ). Plus il y a d’éléments concordants, plus le diagnostic est probable. Le diagnostic différentiel étiologique du syndrome radiculaire comprend, outre la hernie discale (85%) et le rétrécissement foraminal dégénératif (12-13%), un certain nombre de diagnostics rares (tumoral, infectieux, vasculaire, compression par le muscle pyramidal...). Par conséquent, ce n’est qu’en cas d’évolution clinique défavorable qu’une imagerie sera effectuée. L’IRM sera alors préférée au CT-scan en raison de sa meilleure définition du contenu du canal rachidien. D’autres critères radiologiques comme la présence de tuméfaction radiculaire ou l’importance du contact entre la hernie et la racine (contact, compression, déplacement) n’ont pas encore démontré leur intérêt. En tenant compte du fait que 20 à 40% des personnes asymptomatiques ont une hernie discale à l’IRM, une bonne corrélation entre la localisation de la hernie discale et la présentation clinique est un élément indispensable pour retenir le diagnostic. L’électroneuromyogramme pourra être utilisé dans des cas difficiles mais, en raison de sa faible sensibilité, un examen négatif ne saurait suffire à exclure ce diagnostic.
Le diagnostic différentiel comprend de nombreuses causes locales ainsi que des douleurs référées (tableau 2). Le diagnostic le plus fréquent est certainement celui de lombosciatalgie non spécifique. Plusieurs structures anatomiques lombaires peuvent provoquer des douleurs irradiant jusqu’au pied sans pour autant impliquer une racine nerveuse.10L’évolution clinique et la prise en charge sont alors similaires à celles d’une lombalgie commune sans irradiation.
Évolution
L’évolution naturelle de la lomboradiculalgie est relativement mal connue. Après un début souvent très intense, la douleur du membre inférieur diminue progressivement et disparaît spontanément en quelques mois dans 50 à 70% des cas. 11 Dans une étude récente comparant une chirurgie précoce (2-3 mois après le début des symptômes) à un traitement conservateur prolongé, la moitié des patients inclus dans le groupe avec traitement conservateur prolongé et classés comme guéris à un an, sont restés symptomatiques pendant plus de cinq mois.12 Il est donc particulièrement important de reconnaître ces patients et de les distinguer des patients lombalgiques sans syndrome radiculaire qui, eux, ont un pronostic particulièrement défavorable dès lors que les symptômes durent plus de six mois.
Traitements
Conservateurs
La plupart des informations à disposition pour le traitement du syndrome radiculaire par hernie discale proviennent d’études sur la lombalgie. On débutera volontiers par des anti-inflammatoires non stéroïdiens à pleine dose ou par une association d’antalgiques (paracétamol + tramadol) et l’on n’hésitera pas à associer rapidement ces deux types de traitement en cas d’évolution peu satisfaisante. Le recours à des opiacés plus forts (niveau III de l’OMS) peut être envisagé en cas d’évolution défavorable, en se souvenant que l’association paracétamol + morphine permet de réduire les doses de cette dernière.
Les traitements contre les douleurs neuropathiques (antidépresseurs tricycliques ou sérotoninergiques, anti-épileptiques) n’ont pas été spécifiquement étudiés dans cette indication. Bien qu’une composante neuropathique puisse certainement apparaître au cours de l’évolution de la lomboradiculalgie, on ne connaît ni la durée des symptômes nécessaire pour évoquer une douleur de type neuropathique, ni la proportion de patients concernés. Un essai thérapeutique nous semble raisonnable dès lors que les douleurs du membre inférieur prennent des caractéristiques typiques de douleurs neurogènes (tableau 3).
Il n’existe pas d’étude concernant la physiothérapie. En présence de douleurs neurogènes, la neurostimulation transcutanée (TENS) peut être essayée. Les exercices n’ont pas été étudiés mais ils pourraient ne pas être aussi efficaces que dans le cas de lombosciatalgies communes (non associées à une compression radiculaire). Cependant, lorsque le patient présente un phénomène de « centralisation » tel que défini par McKenzie (réduction de la longueur du trajet d’irradiation lors d’un mouvement unidirectionnel que ce soit en flexion, en extension ou en inclinaison), il semble que l’application d’exercices gradués uniquement dans cette direction soit plus efficace qu’une prise en charge active classique.13 La réalisation de manipulations rachidiennes est déconseillée par la vaste majorité des spécialistes du domaine.
L’utilisation d’infiltrations rachidiennes de corticostéroïdes est un domaine particulièrement controversé. Plusieurs remarques peuvent cependant être formulées à partir de la littérature existante : 1) au vu des données actuelles concernant la physiopathologie, et contrairement à ce que l’on sait des lombalgies en général, l’utilisation d’anti-inflammatoires puissants à tout son sens ; 2) l’utilisation de corticoïdes par voie systémique (i.m. ou i.v.) n’a pas ou peu d’effet supplémentaire par rapport au placebo ;14,15 3) en injection épidurale, un effet symptomatique à court terme (quelques semaines) sur les douleurs radiculaires a été démontré ;16 4) lorsque les études incluent un mélange de patients avec syndrome radiculaire par hernie discale et des patients avec canal lombaire rétréci, les infiltrations de corticostéroïdes ont systématiquement des effets supérieurs chez les premiers par rapport aux seconds ; 5) les infiltrations foraminales semblent plus efficaces que les infiltrations épidurales par voie postérieure. On se souviendra cependant à ce propos que, bien que ceci soit exceptionnel lors d’infiltrations lombaires, des infarctus médullaires associés à des paraplégies ont été rapportés lors d’infiltrations foraminales effectuées par des mains expertes ;17 6) il n’y a aucune information disponible sur le nombre d’infiltrations à pratiquer. En pratique, lorsqu’une amélioration partielle est obtenue, l’infiltration peut être répétée après une à deux semaines.
Invasifs
De nombreuses techniques dites « minimalement invasives » sont disponibles sur un marché qui n’est malheureusement pas soumis aux mêmes règles d’efficacité et de sécurité que les traitements médicamenteux. Pour l’instant, aucune de ces techniques n’a fait la preuve de son efficacité et de son innocuité. Elles ne sauraient donc être recommandées en dehors de stricts protocoles d’études cliniques. Il n’y a aucun sens, en l’état des connaissances, à les pratiquer chez des patients dont l’évolution clinique est favorable, d’autant plus que la majorité des hernies discales vont spontanément régresser.
Le syndrome de la queue-de-cheval et le déficit moteur majeur sont les deux complications rares mais importantes du syndrome radiculaire par hernie discale. Dans les deux cas, il y a urgence à évaluer une approche chirurgicale. La durée entre le début du déficit et le moment où l’intervention chirurgicale ne pourra plus modifier l’évolution clinique n’est pas connue. La décision finale se fera donc dans un dialogue entre le patient et le chirurgien. L’attitude à adopter lorsqu’il n’y a pas de déficit ou que celui-ci est faible (stable et sans répercussion fonctionnelle) a fait l’objet de trois études récentes, randomisées et contrôlées comparant traitement chirurgical et traitement conservateur.2,12,18 De ces travaux, on peut retenir : 1) l’évolution favorable de la douleur dans le membre inférieur est beaucoup plus rapide lors de prise en charge chirurgicale ; 2) la chirurgie a un bon taux de succès ; 3) à moyen terme (entre six mois et un an), il n’y a plus de différence entre patients opérés d’emblée et ceux traités de manière conservatrice. Toutefois, pour obtenir cette équivalence, environ 25% des patients initialement dans le groupe conservateur ont dû être opérés dans un deuxième temps. Après six à huit semaines d’un traitement conservateur bien conduit, c’est donc avant tout le dialogue entre médecins (praticiens de premier recours, rhumatologues, rééducateurs et chirurgiens) et patient qui permettra de définir la stratégie thérapeutique. Si la préférence est donnée à la poursuite du traitement conservateur, cette attitude devrait être réévaluée mensuellement ou en cas d’exacerbation des signes et symptômes cliniques.
Conclusion
La prise en charge optimale d’une lomboradiculalgie par hernie discale nécessite sa reconnaissance clinique et son individualisation à partir du groupe de patients souffrant de lombosciatalgie commune. Pour l’instant, malgré d’importantes avancées concernant la physiopathologie, le traitement conservateur reste relativement classique. Lorsque la douleur dans le membre inférieur n’évolue pas favorablement ou en présence d’une atteinte neurologique déficitaire motrice sévère une sanction chirurgicale sera discutée.
Implications pratiques
> La radiculopathie par hernie discale lombaire est une pathologie qui associe une composante inflammatoire et une composante mécanique
> Parmi les traitements conservateurs utilisés dans la lombalgie, peu ont fait l’objet d’une évaluation rigoureuse dans cette indication
> Au cours de l’évolution, une composante neuropathique vient souvent s’ajouter à la douleur nociceptive et doit être traitée comme telle
> L’évolution clinique peut être spontanément favorable même après six mois d’évolution
> Lorsqu’une douleur radiculaire est invalidante malgré une antalgie bien conduite pendant plus de 6-8 semaines, une option chirurgicale peut être discutée avec le patient
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