Le terme de canal lombaire étroit revêt une signification différente pour un anatomiste, un radiologue ou un rhumatologue. Alors que pour les deux premiers, ce terme recouvre avant tout une notion morphologique correspondant à un rétrécissement physique du canal que ce soit au niveau central ou au niveau des foramens intervertébraux, il s'agit pour le rhumatologue d'une entité fonctionnelle dont le diagnostic est essentiellement anamnestique et clinique. On distingue deux types anatomiques de rétrécissement : central lorsque la compression du sac dural est la composante majeure et latéral démontrant la compression des racines nerveuses sur leur trajet.
L'incidence est estimée, selon les études, entre 2 et 8% avec des symptômes se développant typiquement dans la cinquième ou la sixième décennie de la vie, sans prédominance de sexe.1Les canaux étroits primaires représentant moins de 10% des cas, et la vaste majorité étant secondaires à des troubles dégénératifs acquis (hypertrophie et arthrose facettaires, bombement du ligament jaune ou du disque intervertébral ou par spondylolisthésis), on comprend l'importance du sujet pour notre population vieillissante. Il est estimé que le nombre d'interventions chirurgicales pourrait augmenter de plus de 65% au cours des dix prochaines années. 


Clinique2-5

Avant tout, il est utile de rappeler pour mieux comprendre la clinique, que la dimension du canal lombaire a une composante dynamique. L'extension entraîne une protrusion postérieure des disques intervertébraux et un bombement du ligament jaune qui résultent en un rétrécissement du canal lombaire. Ce rétrécissement est latéral, avec une réduction de près de 20% de la surface du foramen intervertébral, mais surtout central avec une diminution des dimensions du canal allant de 9% pour une colonne saine à près de 70% pour une colonne avec atteinte dégénérative. Finalement, la charge axiale est également une cause de rétrécissement dynamique du canal lombaire.
L'étiologie principale du canal étroit étant les troubles dégénératifs, les individus atteints tendent à être âgés. Les débuts de la symptomatologie sont souvent insidieux, avec une anamnèse de lombalgies de longue date, une progression lente suivie par l'apparition de douleurs fessières et des membres inférieurs. En raison des mécanismes discutés ci-dessus, les douleurs sont le plus souvent aggravées par l'extension lombaire, comme par exemple lors de marche en descente, ou lors de mouvements mettant la colonne en charge. La flexion, par contre, apporte typiquement un soulagement.
Si pour 70% des patients l'intensité de la douleur est égale au niveau du dos et des jambes, 25% d'entre eux souffrent avant tout des jambes. Il s'agit de douleurs mal localisées, avec des paresthésies et des crampes de l'un ou des deux membres inférieurs, aggravées à la marche et particulièrement en descente. Des douleurs de repos sont également présentes dans près de 70% des cas. Il n'y a en général pas de déficits neurologiques objectifs et le test de Lasègue n'est positif que dans 50% des cas.
L'électroneuromyographie peut être utile au diagnostic et montre fréquemment des anomalies multisegmentaires ou bilatérales des membres inférieurs.6 Cet examen manque cependant de spécificité et est surtout utile pour différencier une neuropathie périphérique d'un canal lombaire étroit.
Le diagnostic peut être difficile, bien d'autres conditions pouvant entraîner des douleurs des membres inférieurs exacerbées à la marche chez la personne âgée. Une arthrose de hanche ou de genou peut être la cause d'une symptomatologie similaire et même être associée à un canal étroit radiologique. La claudication vasculaire n'est pas toujours facilement différenciée d'une claudication neurogène et peut également coexister. De nombreux tests ont été proposés pour différencier ces deux types de claudication. Ils se basent tous sur l'exacerbation des symptômes par l'hyperextension : marche versus bicyclette, marche en montée ou en descente, marche sur tapis roulant à plat ou en montée.
De cette clinique, somme toute assez pauvre et non spécifique, l'anamnèse de douleurs positionnelles semble finalement être le signe le plus fiable pour poser un diagnostic.


Imagerie5,7,8

Plusieurs modalités d'imagerie sont disponibles. La myélographie a été longtemps regardée comme le gold-standard pour le diagnostic, un diamètre antéropostérieur du canal de moins de 10 mm définissant une sténose absolue et un diamètre entre 10 et 12 mm une sténose relative. La myélographie offre surtout l'avantage d'une visualisation dynamique de la colonne lombaire et ce, sur toute sa longueur. Elle a par contre les désavantages d'être invasive, de mal visualiser les sténoses latérales et d'être compliquée occasionnellement par des réactions au produit de contraste.
Le scanner (CT) et l'IRM ont été utilisés plus récemment. Le diagnostic est basé soit sur le diamètre antéropostérieur du canal, soit sur la surface du sac dural qui est préférée par de nombreux auteurs, sans qu'il existe toutefois un véritable consensus. Une surface supérieure à 100 mm2 est considérée comme normale, alors qu'on parle de sténose modérée entre 76 et 100 mm2 et de sténose serrée en dessous. Le CT et l'IRM ont tous deux l'avantage de visualiser aussi bien le canal central que latéral, avec pour l'IRM l'avantage de bien visualiser les tissus mous. Un certain consensus semble se dessiner pour considérer l'IRM comme le meilleur examen pour confirmer ou infirmer le diagnostic de canal lombaire étroit. Néanmoins, il faut aussi se rappeler qu'il s'agit d'une définition radiologique et que dans un collectif choisi, jusqu'à 20% des sujets asymptomatiques peuvent présenter des images radiologiques de canal étroit.


Traitement 



Traitement conservateur1,2,4,10,11

De nombreuses modalités de traitement conservateur ont été proposées, sans réel consensus. Il est habituel de commencer par la prescription d'AINS et d'antalgiques non narcotiques associés dans un deuxième temps à des corticostéroïdes dont l'utilité et le mode d'administration restent très discutés, en particulier les injections épidurales. Les quelques études contrôlées disponibles, méthodologiquement pas toujours irréprochables, rapportent un effet positif à court terme. Au vu du bénéfice et des risques, et bien que ces injections fassent partie intégrante du traitement conservateur appliqué dans la plupart des pays, les différentes recommandations pour la pratique clinique ne trouvent en général aucune raison légitime ou preuves empiriques d'efficacité permettant de recommander leur usage. Finalement, il faut noter que non seulement il n'y a pas d'évidence solide dans la littérature scientifique, mais il semble que sans contrôle fluoroscopique, et même dans les mains les plus expérimentées, 35% des péridurales ne sont pas dans l'espace péridural.
Bien que les études prospectives manquent aussi, la physiothérapie est généralement recommandée une fois la symptomatologie aiguë atténuée. On préconise une activité physique globale avec des exercices de reconditionnement musculaire en flexion lombaire associés à un renforcement des muscles abdominaux et du plancher pelvien. Des exercices en piscine semblent également être d'un apport avantageux. Il est généralement admis que dans cette population âgée, les manipulations sont contre-indiquées. Certains auteurs prônent l'utilisation de corsets plus ou moins rigides.  


Traitement chirurgical1,2,4,10-12

Entre 1979 et 1992, les cures chirurgicales de canal étroit ont augmenté de 8 fois. Le canal lombaire étroit est actuellement l'indication opératoire de chirurgie vertébrale la plus fréquente chez les patients de plus de 65 ans. Cette augmentation s'explique en partie par le vieillissement de la population, une imagerie plus performante et une amélioration des techniques chirurgicales. Néanmoins, il n'existe pas plus d'indications claires pour le traitement chirurgical que pour le traitement conservateur. On admet généralement qu'il s'agit d'un traitement électif, dont le but est l'amélioration de la qualité de vie chez des individus souffrant de lombalgies et de douleurs invalidantes et rebelles des membres inférieurs avec une limitation importante du périmètre de marche. L'indication est bien sûr absolue pour les cas de syndrome de la queue de cheval ou d'aggravation neurologique rapide, mais ces cas sont rares.3La variabilité du nombre d'interventions pour cette pathologie selon les régions confirme l'absence de consensus. De même, le type d'intervention (laminectomies simples, avec arthrodèse simple ou par du matériel d'ostéosynthèse) est également source de controverses.  


Résultats

Les résultats sont difficiles à évaluer. L'histoire naturelle n'est pas bien connue et aucun travail ne compare de manière prospective et randomisée les résultats d'une prise en charge conservatrice ou chirurgicale. Johnsson a comparé 44 patients opérés à 19 autres non opérés.13 La moyenne d'âge était de 60 ans et les patients souffraient de lombalgies et/ou de douleurs dans les membres inférieurs (84% de claudication neurogène) depuis plus de 22 mois en moyenne. Une évaluation par questionnaire à 31 mois démontrait que tous avaient discrètement amélioré leur périmètre de marche avec au niveau des douleurs 32% d'amélioration, 10% d'aggravation et 58% de cas inchangés dans le groupe traité conservativement contre 60%, 25 % et 15% respectivement pour le groupe chirurgical. Ce travail semble donc favoriser, au prix d'un certain risque, le traitement chirurgical. Toutefois, un autre travail portant sur 32 patients non opérés (refus de proposition opératoire ou inopérables), émanant du même groupe et suivis pendant quatre ans en moyenne, démontre que seuls 18% ont présenté une aggravation clinique alors que 41% étaient améliorés. 70% des patients se sentaient stables, 15% présentaient une aggravation et 15% une amélioration, et seuls 41% des patients consommaient encore des antalgiques contre 100% initialement.14
Une autre étude prospective de cohorte, chez 148 patients suivis pendant quatre ans, démontrait également de meilleurs résultats pour les patients opérés que pour les patients traités conservativement : à quatre ans, 70% des patients opérés et 52% des patients non opérés notaient une amélioration de leurs symptômes avec respectivement 63% et 42% de satisfaction.11Néanmoins, 22% des patients traités initialement de façon conservative ont été opérés dans les 3 à 48 mois suivants et pour ce groupe, l'évolution des symptômes et l'indice de satisfaction étaient identiques au groupe non opéré. 


Conclusion

Le canal lombaire étroit est certainement une pathologie fréquente dont la prévalence va augmenter avec le vieillissement de la population. Il persiste malheureusement de nombreuses questions quant aux critères diagnostiques mais aussi et surtout pour la prise en charge qui reste plus pragmatique que basée sur des preuves.