Introduction

Selon un recensement récent non dépourvu d’humour, plusieurs centaines de traitements sont à disposition du patient lombalgique chronique.1 Malgré leur emploi fréquent, la vaste majorité d’entre eux ne saurait actuellement être recommandée en raison du manque de preuve de leur efficacité.2 Plus grave, le pronostic de la lombalgie chronique semble s’être aggravé au cours de ces vingt dernières années.3,4
Nous avançons l’hypothèse qu’une meilleure utilisation des ressources ayant fait leur preuve pourrait modifier cette tendance. Cette revue se concentrera essentiellement sur les traitements à disposition du médecin de premier recours (médicaments, injections, physiothérapie, etc.), sans oublier d’aborder l’aspect relationnel entre le médecin et son patient qui joue un rôle majeur dans cette situation.

Traitements pharmacologiques per os

L’efficacité des traitements anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) dans cette indication a été récemment confirmée. Les preuves ne concernent cependant que le court terme et la magnitude de l’effet est faible.5 Globalement, tous les AINS semblent avoir la même efficacité. L’addition d’un myorelaxant à un AINS n’apporte pas de bénéfice supplémentaire et leur emploi au long cours n’est pas recommandé,6 pas plus que ne l’est l’adjonction de vitamine B.
Le tramadol, avec son double profil opioïde et monoaminergique semble une molécule intéressante, y compris pour une utilisation prolongée.7 Employé seul ou combiné au paracétamol, son efficacité a été démontrée dans trois études randomisées contrôlées contre placebo.6 La combinaison paracétamol-tramadol a été proposée comme premier choix chez les patients âgés alors que chez le jeune on pourra discuter l’alternative d’un AINS.7
La supériorité des opiacés de niveau III (classification OMS) pour le traitement des douleurs lombaires chroniques a été démontrée.8 Il existe cependant quelques écueils : 1) dans les études randomisées, 40-50% des patients cessent le traitement opiacé en raison d’effets secondaires ; 2) parmi ceux qui poursuivent leur traitement, on obtient une excellente réponse dans un tiers des cas, une réponse intermédiaire dans un autre tiers, et pas d’effet appréciable dans le dernier tiers ; 3) d’importantes réserves ont été émises concernant leur emploi à moyen ou long terme ; 4) un comportement aberrant dans l’utilisation de médicaments peut concerner près d’un quart des patients ;9 enfin, 5) le risque lié à la dépendance et ses effets délétères sur l’évolution des patients lombalgiques chroniques a récemment été rappelé.10
Les avis divergent quelque peu concernant les antidépresseurs. Une revue systématique portant sur toute sorte d’indications rhumatologiques retrouvait, pour la lombalgie chronique, un faible effet de la nortryptiline et de l’amitriptyline sur la douleur mais pas sur la fonction.11 Une autre revue plus complète, effectuée dans le cadre de la « Cochrane collaboration », concluait à une absence d’efficacité générale y compris sur la dépression et sans différence entre tricycliques et inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine.12
Quant aux antiépileptiques, ils n’ont pas reçu l’approbation de la FDA dans cette indication. Certains auteurs suggèrent toutefois une attitude pragmatique avec, en cas de doute sur une composante neurogène, un essai thérapeutique.13 Le lecteur est rendu attentif au fait que le remboursement de ce traitement par les assurances n’est pas garanti d’avance.
Dans la pharmacopée phytothérapeutique, griffe du diable et extrait de saule fortement dosé ont une efficacité démontrée dans plusieurs études randomisées et contrôlées.14
Quel que soit le traitement choisi, le nombre de patients à traiter pour obtenir un succès étant supérieur à deux, il existe invariablement une majorité de patients avec au mieux un effet limité. En conséquence : 1) l’information sur les risques et les bénéfices devrait être complète, 2) des essais thérapeutiques de quelques jours (à quelques semaines selon les substances) sont inévitables pour identifier le traitement le mieux adapté à chaque patient et 3) on doit tenir compte de la préférence individuelle.6

Injections et infiltrations

De manière générale, dans un article de revue paru en 2006 van Tulder et coll. soulignaient l’absence de preuves de l’efficacité tant des infiltrations épidurales ou facettaires que des injections des points gâchettes ou de substances sclérosantes dans le ligament lombo-sacré.15

Injections péridurales

Les injections péridurales de corticoïdes (que ce soit par la ligne médiane, par voie caudale ou foraminale) n’ont pas d’effet bénéfique chez le patient lombalgique chronique.16 Il existe quelques situations comme les syndromes radiculaires par hernie discale qui échappent à la règle avec, semble-t-il, un effet positif à court terme sur la douleur.17Il n’y a cependant pas de preuve permettant d’énoncer des recommandations concernant le nombre et la fréquence des injections.18 En outre, une étude récente portant sur plus de 13 000 vétérans n’a pas réussi à démontrer une diminution de la consommation d’opiacés ou du nombre d’interventions chirurgicales après de telles injections.19

Articulations zygapophysaires ou interapophysaires

Les articulations postérieures des vertèbres lombaires (entre le processus articulaire supérieur d’une vertèbre et l’inférieur de la sus-jacente) peuvent être une source de douleurs. Certaines caractéristiques des douleurs évoquent pour de nombreux médecins une origine facettaire.
Une étude récente confirme qu’il n’est toujours pas possible d’identifier cliniquement une lombalgie d’origine facettaire.20 Seul le bloc anesthésique du rameau médian pourrait y parvenir. Etant donné le taux élevé de faux positifs (25 à 41%), il est recommandé de procéder à deux blocs avec deux produits de demi-vie différente avant de tirer des conclusions.21 Ces blocs sont parfois utilisés pour sélectionner des patients susceptibles de répondre à une dénervation facettaire par radiofréquence. Cette technique figurant actuellement sur la liste négative, elle n’est donc pas remboursée dans notre pays et nous ne nous y attarderons pas davantage.
Les injections intrafacettaires (à l’aveugle ou radioguidée, avec anesthésique seul ou combiné avec un corticoïde) n’ont pas fait leur preuve d’efficacité.22 La diffusion du produit est telle qu’en cas d’amélioration clinique, on ne saurait tirer de conclusion fiable quant à la source nociceptive.23
Il ne semble pas y avoir grand chose à espérer des injections d’acide hyaluronique (viscosupplémentation) dans ces articulations.24
Les injections des points gâchettes (trigger points) sont utilisées avec une diversité de « produits » (du dry needlingaux injections de NaCl, anesthésiques locaux avec ou sans corticoïdes, toxine botulinique) en dépit des recommandations négatives.2,25 La prolothérapie (injections intraligamentaires de solutions sclérosantes) n’est pas efficace.26

Traitements physiques et manuels

Les séances de physiothérapie sont trop souvent prescrites sans préciser l’orientation souhaitée. Pourtant nombre de techniques ne sont pas évaluées ou sont inefficaces.2 En électrothérapie, seul le TENS à haute fréquence a montré une certaine efficacité.27 De manière générale, le but est de remettre le patient lombalgique chronique en activité. Les bénéfices d’une approche active ont été amplement démontrés2 y compris en Suisse.28 La prescription d’exercices spécifiques, renforcement des muscles lombaires29,30 ou de « stabilisation », n’a pas démontré de supériorité par rapport à des exercices plus généraux.31 L’idée populaire de l’avantage des exercices dans l’eau par rapport à ceux effectués à sec ne résiste pas à l’analyse systématique de la littérature.32 On aimerait pouvoir mieux classer ces patients afin de tirer le meilleur parti de ces interventions, malheureusement en dépit de quelques résultats encourageants33,34 dans cette direction, on ne saurait les généraliser pour l’instant.35 Une étude récente a montré l’efficacité à une année de la technique Alexander.36
Les techniques de médecine manuelle semblent avoir définitivement fait la preuve d’une efficacité relativement similaire au traitement médicamenteux ou à une physiothérapie active.37 Celle-ci pourrait être accrue en combinant ces techniques avec de l’éducation et des exercices.38

Interventions multidisciplinaires

Les écoles du dos, surtout si elles prodiguent une information centrée sur la biomécanique ne sont pas recommandées, à l’exception de celles comportant une intervention en lien avec le milieu professionnel.2,39 Elles pourraient avantageusement être remplacées par des interventions éducatives brèves,39 basées sur le modèle biopsychosocial se centrant sur les aspects fonctionnels à l’exemple de ce qui a été proposé dans le « guide du dos ».40
Les programmes de rééducation fonctionnelle sont efficaces pour la prise en charge des patients lombalgiques chroniques.41 Leur efficacité est encore meilleure s’ils intègrent des techniques de thérapie cognitivo-comportementale prenant en compte les aspects de « peur-évitement » (dits aussi kinésiophobie, peur du mouvement).39 Pour développer pleinement leur effet, ces approches doivent toutefois être intensives (> 100 heures) et sont donc réservées aux patients en échec de traitements plus classiques (sans attendre toutefois plus de trois mois) ou avec des facteurs de mauvais pronostic.42

Relation médecin-patient

L’information au patient, pour autant qu’elle s’éloigne résolument des diagnostics radiologiques ou anatomo-cliniques (par exemple : « c’est votre arthrose qui vous fait mal ») et se concentre sur une mise en confiance et une reprise fonctionnelle progressive, est à même de diminuer le handicap et les arrêts maladie.2 Cela a été confirmé par une étude récente dans laquelle les patients lombalgiques chroniques informés de leur diagnostic IRM ont une évolution moins favorable.43
La perception subjective du patient joue également un rôle comme le montre la moins bonne évolution à six mois des patients qui anticipent une plus longue durée des lombalgies, des conséquences plus importantes de leurs douleurs ou qui jugent ces dernières peu contrôlables.44
Une étude prospective chez des adolescents confirme que le tabac est un facteur de risque de lombalgie.45Néanmoins, ni l’arrêt du tabac ni d’ailleurs la réduction pondérale ne modifie l’évolution de la lombalgie chronique,46sauf en cas de chirurgie et tout particulièrement de spondylodèse.47

Conclusion

Les études récentes viennent pour la plupart conforter les grands axes de la prise en charge du patient lombalgique que sont l’informer (sans éléments anatomocliniques), le rassurer et l’encourager à reprendre son activité. Toutes les interventions dans ce sens sont bénéfiques, y compris la prise de médicaments qui peuvent réduire partiellement la douleur. En cas d’évolution défavorable, une prise en charge multidisciplinaire intensive doit être organisée.

Implications pratiques

> La revue exhaustive de la littérature même limitée à un sujet comme le traitement des lombalgies chroniques est « mission impossible » pour le clinicien
> Les traitements utilisés dans ce syndrome se comptent par centaines, mais les preuves de leur efficacité font défaut pour la plupart d’entre eux
> Les traitements médicamenteux par voie orale ou en injection ont dans le meilleur des cas un effet partiel
> L’aide à la reprise d’activité doit être au centre de la prise en charge. Les moyens importent moins que la prise en compte des aspects psycho-sociaux, y compris la peur du mouvement
> Il n’y a pas dans ce domaine de solution standard applicable à chaque patient et le médecin se doit de faire du sur-mesure au cas par cas