Introduction

Les affections de la coiffe des rotateurs (CR) constituent une source fréquente de douleurs chroniques ou aiguës de l'épaule, ainsi que de motif de consultation médicale.
Les causes de lésions de la CR relèvent souvent d'une origine multifactorielle.1 Les efforts physiques, liés à laprofession restent un facteur important et classiquement reconnu. Certaines activités sont identifiées comme étant «à risque», notamment celles qui nécessitent de garder fréquemment les bras au-dessus de la tête ou de réaliser des efforts en porte-à-faux.
La pratique sportive représente également une activité susceptible de provoquer des lésions de la CR. Nous constatons une augmentation du nombre de patients appartenant à cette catégorie, qu'il s'agisse de sportifs de loisir ou d'élite. Les exigences physiques croissantes, l'intensité des entraînements et surtout la poursuite d'une pratique sportive intensive à des âges plus avancés, en constituent les raisons principales.
Cette revue a pour but de rappeler certains points importants en matière d'étiopathogénie, de diagnostic et de prise en charge des affections de la coiffe des rotateurs.


Etiopathogénie des lésions de la coiffe des rotateurs 



Terminologie

Nous définissons les lésions de la CR ainsi :
La tendinite constitue une lésion inflammatoire microscopique avec éventuellement des déchirures interstitielles, sans rupture macroscopique.
La rupture non transfixiante définit une rupture macroscopique, mais ne prenant pas toute l'épaisseur du tendon. La lésion est précisée par sa localisation (quel tendon), son type (versant articulaire, acromial, deux versants), ses dimensions (longueur et largeur) et son épaisseur (pourcentage de l'épaisseur du tendon).
La rupture transfixiante traduit une perforation du tendon. La lésion est précisée par sa localisation et ses dimensions.
L'étiopathogénie des lésions de la CR relève vraisemblablement d'une origine multifactorielle.1,2 Nous identifions :

Les lésions aiguës et traumatiques

Un traumatisme véritable a provoqué la rupture. L'exemple classique reste celui de la luxation gléno-humérale, qui peut induire, dès le premier épisode, une rupture de la CR et ceci d'autant plus souvent que le patient est âgé. Cette fréquence dépasse même 60% après 50 ans.3 La rupture peut être plus ou moins étendue.

Les lésions chroniques

Ces lésions surviennent par surcharge ou microtraumatismes. Elles ont une origine intrinsèque ou extrinsèque, parfois mixte :
L'atteinte intrinsèque est définie par des modifications primaires dégénératives intratendineuses,4 en général près de l'insertion du supraspinatus. La relative hypovascularisation de la CR à cet endroit joue un rôle. Ces lésions touchent préférentiellement les patients âgés.
L'atteinte extrinsèque primaire est consécutive à un rétrécissement de l'espace sous-acromial. Un acromion crochu (type II ou III selon Bigliani), un ostéophyte acromial, un cal vicieux du trochiter (ascension relative après fracture), des ostéophytes inférieurs acromio-claviculaires (arthrose acromio-claviculaire) constituent des causes possibles de conflit mécanique avec la coiffe des rotateurs sous-jacente.5
L'atteinte extrinsèque secondaire externe est provoquée par un rétrécissement relatif de l'espace sous-acromial, en général causé par une laxité gléno-humérale antérieure augmentée.6 L'atteinte primaire se trouve donc au niveau des structures capsulo-ligamentaires. Une surcharge (sport de lancer par exemple) provoque un étirement progressif de l'appareil capsulo-ligamentaire. La translation antérieure accrue de la tête humérale lors de certains gestes liés à l'activité sportive, provoque un conflit du versant acromial de la CR contre le bord antéro-inférieur de l'acromion.
L'atteinte extrinsèque secondaire interne définit une situation analogue.7Le conflit entre le versant articulaire de la CR et le bord postéro-supérieur de la glène est provoqué dans ce cas lors de l'abduction associée à la rotation externe maximale.  


Examen clinique8

Les lésions de la CR sont classiquement douloureuses. Les douleurs nocturnes ou de repos traduisent en général un état inflammatoire. Les douleurs liées à l'utilisation du bras et reproduites par un mouvement précis (flexion ou abduction) traduisent le conflit mécanique.
L'examen clinique dirigé comprend l'inspection, l'examen de la mobilité, le testing de la force et les tests de provocation de conflits.
L'inspection vise à rechercher une atrophie musculaire localisée dans les fosses sus- et sous-épineuses.
L'examen de la mobilité active (abduction, flexion, rotation externe et rotation interne) a pour but d'objectiver une limitation fonctionnelle (secondaire à la douleur ou par baisse de force) et de rechercher un arc douloureux, évocateur d'un conflit mécanique. L'évaluation de la mobilité passive permet d'exclure une capsulite rétractile associée, qui pourrait par elle-même être à l'origine des douleurs. Une lésion isolée de la coiffe des rotateurs, quelle que soit son étendue, ne provoque pas de limitation de la mobilité passive.
Le testing de la force de chaque muscle reste le plus spécifique pour apprécier une lésion de la CR. L'évaluation de la force du supraspinatus se fait bras à 90° d'abduction dans le plan de l'omoplate, par comparaison avec le côté opposé. Une petite lésion provoque en général uniquement une douleur, alors qu'une lésion plus étendue se traduit par une diminution de la force, voire une impossibilité de garder la position d'abduction. La force du subscapularis est testée en rotation interne maximale. Une lésion transfixiante provoque une impossibilité de décoller la main du dos (test de lift off) ou de comprimer l'abdomen (test de belly press). La force de l'infraspinatus est évaluée en rotation externe maximale lorsque le coude est au corps. Si la lésion touche également le teres minor, la force de la rotation externe est restreinte lorsque le bras est en abduction (signe du clairon).
Les tests de provocation d'un conflit entre la CR et les structures adjacentes donnent surtout des renseignements quant à l'étiopathogénie des lésions. Par contre, ils n'apportent en général pas d'information quant à la taille des lésions. Lors de conflit sous-acromial, des douleurs apparaissent lorsque le bras est porté en flexion-abduction et divers degrés de rotation interne (test de Hawkins : contact entre la CR et l'arche coraco-acromiale ; test de Neer : contact entre la CR et l'acromion). Lors de conflit sous-coracoïdien, les douleurs apparaissent lorsque le bras est porté progressivement en rotation interne, flexion et adduction (contact entre le subscapularis et la face inférieure de la coracoïde. Lors de conflit postéro-supérieur, les douleurs apparaissent lorsque le bras est placé en abduction et rotation externe maximale (contact entre le versant articulaire des supra- et infraspinatus et la partie postéro-supérieure de la glène). 


Examens paracliniques

Les radiographies standards selon trois incidences (face en rotation neutre, Neer et axiale) permettent de rechercher des signes indirects de pathologie chronique de la coiffe des rotateurs (kyste du trochiter, remaniement et ostéophyte du bord antéro-inférieur de l'acromion, distance acromio-humérale réduite). Ces radiographies permettent d'exclure d'autres affections pouvant être à l'origine de douleurs de la ceinture scapulaire (troubles dégénératifs gléno-huméraux, acromio-claviculaires, tumeur, etc.). Les informations obtenues à ce stade grâce à l'anamnèse, l'examen clinique et les radiographies standards permettent de poser un diagnostic et d'envisager un traitement.
Si l'option chirurgicale est retenue, nous demandons encore une imagerie par résonance magnétique (IRM), avec ou sans injection de produit de contraste dans l'articulation gléno-humérale. L'IRM a pour but de préciser les dimensions de la rupture, sa localisation, la rétraction des tendons, d'apprécier l'atrophie des corps musculaires et l'éventuelle dégénérescence graisseuse. Ces informations sont capitales avant d'entreprendre un geste chirurgical car elles permettent de définir si la rupture est encore réparable sur le plan technique ou si une autre option doit être préférée.  


Traitement9

Avant de proposer le traitement, il est indispensable de définir avec précision la lésion de la CR (localisation, dimensions, rétraction tendineuse, trophicité musculaire) et son étiopathogénie (traumatique aiguë, surcharge, intrinsèque, extrinsèque, primaire, secondaire, etc.). Cette démarche implique un examen clinique détaillé et des examens complémentaires, parfois par IRM.
Il convient toutefois d'être prudent quant aux «lésions» constatées à l'IRM. Les modifications structurelles de la CR, fréquemment relevées chez des patients d'âge moyen ou avancé, doivent impérativement être confrontées à l'examen clinique avant qu'une conclusion puisse être tirée quant au traitement à proposer. 


Traitement conservateur

Le traitement des lésions de la coiffe des rotateurs reste conservateur dans un premier temps, quel que soit l'âge du patient. Il existe de rares exceptions : une rupture étendue aiguë traumatique avec épaule pseudoparalytique (après luxation gléno-humérale par exemple) chez un patient encore jeune relève souvent du traitement chirurgical d'emblée.
La prise en charge conservatrice comprend dans un premier temps le repos et la médication anti-inflammatoire. La physiothérapie est prescrite dans un but antalgique. Après régression des douleurs et récupération d'une mobilité passive complète, le traitement de physiothérapie visera à tonifier la musculature et permettre un recentrage actif de la tête humérale sur la glène. Nous réalisons également de temps à autre une infiltration sous-acromiale avec corticostéroïdes, permettant de diminuer les phénomènes douloureux secondaires à l'inflammation.  


Traitement chirurgical

L'indication à un traitement chirurgical est posée individuellement en appréciant la situation en fonction de critères anatomiques (dimension et type de rupture), étiopathogéniques (aiguë, chronique et dégénérative) et liés au patient (âge, demande fonctionnelle).  


Ruptures traumatiques aiguës

Lors de petite rupture, même transfixiante et touchant un tendon, le traitement reste en général conservateur dans un premier temps. En cas d'échec (persistance de douleurs), une prise en charge chirurgicale est proposée. Le traitement consiste en une réparation avec suture et réinsertion du tendon rompu sur le trochiter. Les nouvelles techniques arthroscopiques de réparation sont prometteuses,10 mais encore en cours d'évaluation. Après la réparation tendineuse, une rééducation durant près de six mois est nécessaire.
Lors de rupture transfixiante étendue (touchant plusieurs tendons) avec une épaule pseudoparalytique, il convient de procéder d'emblée à un traitement chirurgical, avant que les tendons ne se fixent en rétraction et que l'atrophie musculaire ne s'installe.11 A ce stade, la réparation chirurgicale (suture et réinsertion transosseuse de la CR) reste en général possible malgré la taille de la rupture (fig.1).

Ruptures transfixiantes chroniques

Si la rupture est de petite taille, les conditions de prise en charge sont identiques à celles des lésions traumatiques aiguës.
Lors de rupture étendue, restant douloureuse malgré le traitement conservateur, une prise en charge chirurgicale est parfois proposée. Pour un patient jeune ou d'âge moyen avec demande fonctionnelle élevée, une réparation tendineuse est réalisée. Celle-ci peut nécessiter parfois un transfert musculaire (latissimus dorsi pour les supra- infraspinatus ; pectoralis major pour le subscapularis). Ce geste s'accompagnera impérativement d'une rééducation durant neuf à douze mois. Pour un patient plus âgé avec demande fonctionnelle limitée, une arthroscopie avec ténotomie du long chef du biceps et ablation d'éventuels ostéophytes acromiaux est proposée.12Ce geste palliatif de la douleur nécessite une rééducation plus courte (quelques semaines vu l'absence de réparation tendineuse).  


Ruptures non transfixiantes

Lors de lésions tendineuses intrinsèques, les possibilités chirurgicales restent limitées. L'acromioplastie n'est pas indiquée vu l'absence de conflit mécanique. Toutefois l'atteinte intrinsèque isolée est rare.
Lors de lésions extrinsèques primaires, toujours symptomatiques après traitement conservateur, la chirurgie peut être proposée. L'acromioplastie permet de soulager des douleurs (fig. 2). L'utilisation de l'arthroscopie n'est un avantage que pour les trois premiers mois et permet de raccourcir la période de rééducation à quelques semaines seulement. L'excision de la zone de rupture et avec réparation du tendon est parfois proposée chez des patients jeunes.
La prise en charge des lésions extrinsèques secondaires externes reste conservatrice le plus longtemps possible (renforcement des stabilisateurs dynamiques de l'épaule, modification et adaptation des techniques sportives et des positions de travail). Le traitement chirurgical est rare (réparation ou plastie des structures capsulo-ligamentaires antérieures) et l'acromioplastie est contre-indiquée.
L'attitude conservatrice est également proposée pour les lésions extrinsèques secondaires internes. Les indications à la chirurgie (réparation et/ou plastie capsulo-ligamentaire antérieure, ostéotomie de dérotation de l'humérus) restent exceptionnelles. 


Conclusions

Les consultations médicales motivées par des lésions de la coiffe des rotateurs sont fréquentes. Les efforts physiques liés à la profession ou à la pratique sportive constituent des facteurs prédisposant à ce type de pathologie.
La prise en charge des affections de la CR nécessite de poser au préalable un diagnostic lésionnel et étiopathogénique précis. Cette démarche est indispensable afin de proposer le traitement le plus approprié.
La prise en charge reste conservatrice dans un premier temps, hormis quelques rares cas de larges ruptures aiguës traumatiques. Le type de chirurgie à proposer (réparation tendineuse versus débridement à visée palliative) dépendra de critères anatomiques et étiopathogéniques, mais également de facteurs plus directement liés au patient, tels que l'âge et la demande fonctionnelle.
La rééducation après chirurgie de la coiffe des rotateurs est longue, et ce d'autant plus qu'un geste de réparation tendineuse a été réalisé.
Les possibilités de reprise d'une activité sportive ou professionnelle dépendent beaucoup de la taille de la rupture et des efforts physiques à réaliser. Toutefois les résultats restent inconstants et d'autres facteurs, notamment socio-économiques, jouent également un rôle important dans l'évolution.