Quand faut-il opérer une rupture de la coiffe des rotateurs ?
Ali Djahangiri, Alain Farron
Rev Med Suisse 2009;2551-2554
Rev Med Suisse 2009;2551-2554
Résumé
La lésion de la coiffe des rotateurs est une pathologie fréquente avec une prévalence dans la population générale de 30%. Il existe une corrélation significative entre l’âge et la survenue de l’atteinte. Le potentiel de guérison spontanée d’une rupture de coiffe symptomatique est limité. Même si les résultats sans guérison peuvent être satisfaisants chez les patients à faible demande, il est maintenant communément admis que pour un résultat fonctionnel optimal et durable, il est préférable d’obtenir une coiffe intègre. L’indication opératoire doit prendre en considération la réparabilité et le potentiel de guérison de la coiffe afin d’évaluer le taux de réussite raisonnablement attendu. Les techniques par arthroscopie ou par arthrotomie donnent des résultats similaires à condition d’obtenir une reconstruction stable.
Introduction
Les maladies de la coiffe des rotateurs sont les principales pathologies responsables d’omalgies. Malgré la prévalence de lésions élevée et du nombre croissant de procédures chirurgicales, une absence de traitement standardisé et de consensus persiste. Poser une indication opératoire doit impérativement prendre en considération les risques et bénéfices de ce traitement. Les avantages et inconvénients sont comparés à ceux du traitement conservateur, afin de choisir le mode thérapeutique le plus approprié pour une lésion donnée, et de l’adapter aux attentes du patient. Bien que les bénéfices et complications du traitement chirurgical soient bien documentés, les risques du traitement conservateur, moins apparents, ne sont pas à négliger.
Poser une indication opératoire doit prendre en considération le taux de réussite raisonnablement attendu après une réparation de coiffe, ainsi que le potentiel de développer une complication qui pourrait péjorer le tableau clinique. Avec l’évolution des techniques opératoires, que ce soit par arthroscopie ou par chirurgie ouverte, la majorité des ruptures de coiffe peuvent être de nos jours reconstruites.1,2 Néanmoins, refixer la coiffe au trochiter n’engendre pas forcément la guérison du tendon à l’os. En plus de la «faisabilité» de la reconstruction, il est donc primordial d’évaluer la «réparabilité» du tendon, ainsi que le «potentiel de guérison» de la coiffe. L’évaluation de ces concepts, associée à la demande fonctionnelle du patient, nous permettra d’adapter le traitement le plus approprié à chaque situation.
L’objectif de ce travail est de déterminer quelles sont les indications au traitement conservateur et chirurgical.
Étiopathogénie
Epidémiologie
Il existe une corrélation significative entre l’âge et la survenue d’une atteinte de la coiffe des rotateurs. La prévalence de rupture chez les sujets asymptomatiques est de 20% entre 60 et 70 ans, et atteint même 50% chez les individus entre 70 et 80 ans.3 Il existe un délai moyen de dix ans entre l’âge d’apparition d’omalgie sur tendinopathie de la coiffe sans rupture (49 ans) et l’âge moyen d’apparition d’une rupture de coiffe unilatérale (59 ans), et près de vingt ans pour une bilatérale (68 ans).4
Type de rupture
La rupture de la coiffe des rotateurs peut être d’origine traumatique, dégénérative ou mixte.5 Les ruptures traumatiques font suite à des chutes sur le moignon de l’épaule ou des mouvements d’abduction contrariés. Les ruptures dégénératives surviennent chez des sujets plus âgés, et sont souvent associées à un rétrécissement de l’espace sous-acromial (acromion crochu ou avec ostéophyte). Des traumatismes parfois mineurs peuvent dans ces conditions provoquer des ruptures plus ou moins complètes de la coiffe.
Histoire naturelle d’une rupture
L’impotence liée à la rupture peut évoluer sous traitement conservateur vers une récupération fonctionnelle. Les douleurs, mais surtout la baisse de force, peuvent malgré tout persister. Aucune lésion transfixiante ne peut décroître en taille avec le temps, bien au contraire, ce qui souligne la capacité limitée de guérison spontanée de la coiffe. En règle générale, l’apparition de symptômes est liée à l’augmentation de la taille de la lésion.4 L’histoire naturelle d’une rupture de coiffe se fait inévitablement vers une rétraction tendineuse et une atrophie graisseuse musculaire.6 Dans les cas d’insuffisance chronique, la coiffe n’exerce plus son rôle de centrage et de coaptation de la tête humérale au niveau de la glène. Sous l’effet du muscle deltoïde, l’humérus peut alors se subluxer proximalement jusqu’à venir créer une néo-articulation avec l’acromion. L’évolution à long terme peut même se faire vers une omarthrose secondaire dite excentrée.7
Examen clinique et radiologique
La coiffe des rotateurs est composée de la convergence des tendons de quatre muscles.
- Le muscle sus-épineux naît de la fosse sus-épineuse de l’omoplate et s’insère sur le trochiter. Son action est l’abduction de l’épaule couplée à celle du muscle deltoïde. Son évaluation se fait par le test de Jobe à 90° d’abduction dans le plan de l’omoplate. Il est positif en cas de baisse de force par rapport au côté controlatéral, indépendamment des douleurs.
- Le muscle sous-épineux, qui naît de la fosse du même nom, ainsi que le muscle petit rond, qui naît du bord externe scapulaire, s’insèrent également au niveau du trochiter. Leur action est la rotation externe, principalement coude au corps pour le muscle sous-épineux, et à 90° d’abduction pour le muscle petit rond. L’intégrité du tendonsous-épineux est évaluée coude au corps, en comparant la force en rotation externe. Lors d’atteinte du petit rond, la force en rotation externe est restreinte lorsque l’épaule est en abduction (signe du clairon).
- Le muscle sous-scapulaire naît de la face antérieure de l’omoplate et s’insère au niveau du trochin. Son action est la rotation interne. Une rupture provoque une impossibilité de décoller la main du dos (lift-off test) ou de comprimer l’abdomen (Belly-press test). On adjoint souvent le long chef du biceps aux muscles de la coiffe compte tenu de son trajet intra-articulaire.
Le bilan radiologique standard comprend les incidences de face, de «Neer» et en axiale d’épaule. On recherchera des signes indirects de rupture de coiffe tels que remaniements et ostéophytes au niveau du trochiter ou de la face inférieure de l’acromion. La distance acromio-humérale se mesure sur l’incidence de face, l’épaule en rotation neutre.
L’arthrographie de l’épaule, couplée à la résonance magnétique (arthro-IRM) ou scanner (arthro-CT) est l’examen de choix pour préciser l’importance de la rupture, ainsi que la trophicité musculaire. L’ultrasonographie est moins invasive et coûteuse, mais sa sensibilité est dépendante de l’examinateur.
Réparabilité et potentiel de guérison
Même si le taux de satisfaction peut être élevé sans guérison complète, il est nécessaire d’obtenir une coiffe totalement guérie pour un résultat fonctionnel optimal et durable.8 L’âge du patient, la taille de la lésion et l’atrophie graisseuse musculaire sont les facteurs prédictifs majeurs de guérison.
Le taux de succès après chirurgie est inversement proportionnel à l’âge et au nombre de tendons lésés.1,2 De même, plus la rétraction tendineuse sera importante, moins bon sera le pronostic.1 Avec l’augmentation de la taille de la lésion et de la durée d’évolution, on note une atrophie des corps musculaires de la coiffe aux dépens de dépôts graisseux. Lorsque le volume de graisse dépasse ou égale le volume musculaire sur les examens CT ou IRM, les résultats fonctionnels après chirurgie sont décevants.6 La rupture de la coiffe est alors dite irréparable et peut se traduire radiologiquement par une subluxation proximale de la tête de l’humérus avec une distance acromio-humérale de moins de 7 mm (figure l).9
Le tabac, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les infiltrations de cortisone ont également une influence négative sur la guérison tendineuse et le résultat fonctionnel final.10-12 Avant toute chirurgie, on insistera sur l’arrêt du tabac et les AINS seront à éviter pour six semaines postopératoires. Les infiltrations de cortisone ne sont pas recommandées chez les patients susceptibles d’être opérés.
Traitements (figure 2)
Conservateur
La prise en charge conservatrice comprend dans un premier temps le repos et une médication par AINS. Une physiothérapie à but antalgique et fonctionnelle peut ensuite être prescrite. Dans les cas réfractaires, l’infiltration sous-acromiale de corticostéroïdes permet de diminuer les phénomènes douloureux secondaires à l’inflammation.
Le principal danger de ce traitement réside qu’en l’absence de guérison, la lésion de la coiffe peut augmenter de taille, se rétracter et évoluer vers une dégénérescence graisseuse musculaire. La coiffe devient alors irréparable prétéritant le résultat de toute chirurgie. Pratiquer une chirurgie réparatrice avant l’atrophie musculaire et la rétraction tendineuse permet d’optimaliser le taux de guérison.
Dans certaines situations, un traitement conservateur au long cours peut malgré tout être proposé. Compte tenu d’une demande fonctionnelle inférieure chez les patients âgés, le traitement chirurgical ne sera pas évoqué avant un minimum de six mois de traitement conservateur. Dans les cas de rupture partielle, non transfixiante, le risque de développer une atrophie musculaire graisseuse étant pratiquement nul, un traitement conservateur peut être prescrit en toute sécurité. Il en est de même pour les ruptures irréparables, l’atrophie musculaire étant déjà présente.
Traitement chirurgical : coiffe réparable
Il est maintenant communément admis que pour obtenir un résultat fonctionnel optimal, il est préférable d’obtenir une coiffe guérie.8 Dans les cas réparés avec succès, le résultat final est satisfaisant et durable dans le temps avec plus de 90% de patients satisfaits à dix ans.13 Les résultats structurels et fonctionnels après chirurgie arthroscopique ou par voie ouverte sont comparables (figure 3).14 Le but est de réinsérer la coiffe à l’os par une reconstruction stable et sur une surface la plus large possible. Les faiblesses mécaniques de la reconstruction peuvent être liées à un tendon dégénératif, une rupture de fil, un lâchage de suture ou à une ostéopénie. La reconstruction est par conséquent protégée par une immobilisation de l’épaule pour six semaines postopératoires. Durant cette période, seule une physiothérapie de mobilisation passive de l’épaule est autorisée.
Outre l’absence de guérison, les complications postopératoires rencontrées sont les infections, les atteintes neuro-vasculaires ou la capsulite rétractile.
Traitement chirurgical : coiffe irréparable
Lors de ruptures irréparables, le débridement chirurgical donne des résultats satisfaisants du point de vue de la symptomatologie douloureuse mais n’a pas d’influence sur la force. De plus, son effet est limité dans le temps, avec une détérioration des résultats à 3-5 ans.15 Souvent siège de douleurs, la
tendinopathie d’accompagnementdu long chef du biceps est traitée par biceps est traitée par ténotomie.
En cas d’échec du traitement conservateur, les patients jeunes avec demande fonctionnelle élevée peuvent parfois bénéficier d’une chirurgie par transfert musculaire. Les tendons grand dorsal et grand pectoral sont utilisés pour les ruptures irréparables des tendons sus/sous-épineux et du tendon sous-scapulaire respectivement. L’arthrodèse de l’épaule est rarement pratiquée mais peut représenter une solution de sauvetage valable.
Chez les patients âgés avec faible demande, la mise en place de prothèse totale d’épaule de type inversé donne de bons résultats avec notamment une récupération de la fonction.
Conclusion
L’indication pour une réparation de coiffe dépend de l’âge du patient, de sa demande fonctionnelle, de la taille de la lésion et de la réparabilité de la coiffe. Une rupture de coiffe est dite irréparable si la distance acromio-humérale est de moins de 7 mm sur la radiographie standard de face ou lorsque le volume graisseux est égal ou supérieur au volume musculaire sur les examens CT ou IRM. La taille de la lésion, le grade de rétraction et l’âge du patient représentent des facteurs pronostiques.
Une reconstruction en première intention doit être offerte pour les patients actifs, avant que la lésion ne s’agrandisse et devienne irréparable. L’indication opératoire chez les patients de plus de 65 ans peut être posée après échec d’un traitement conservateur d’au moins six mois. Le traitement est à adapter au status médical, social et professionnel.
La technique opératoire n’a pas d’influence sur le résultat fonctionnel final à condition d’obtenir une reconstruction stable. Le tabac, les infiltrations de corticostéroïdes et les AINS pour six semaines postopératoires sont à éviter pour favoriser la guérison.
Implications pratiques
> Une reconstruction de coiffe en première intention devrait être offerte pour les patients actifs, avant que la lésion n’augmente de taille et ne devienne irréparable
> Pour les patients âgés ou avec faible demande, ainsi que pour les ruptures partielles de coiffe ou déjà irréparables, un traitement conservateur peut être proposé même au long cours en toute sécurité
> Poser une indication opératoire doit prendre en considération le taux de réussite raisonnablement attendu après une réparation de coiffe
> Une rupture de coiffe est dite irréparable si la distance acromio-humérale est de moins de 7 mm sur la radiographie standard de face ou lorsque le volume graisseux est égal ou supérieur au volume musculaire sur les examens CT ou IRM
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Bibliographie
*à lire
Abstract
Rotator cuff disease is the most common pathology causing shoulder pain with an overall prevalence rate of 30%. There is a significant association between increasing age and the presence of rotator cuff tears. Spontaneous healing of clinically relevant tears has not been observed. Although satisfactory pain relief is possible without rotator cuff tendon healing, functional outcome is better for healed repairs. Operative treatment must be considered in the context of the reasonable expectations for success. Repairability and potential of surgically tendon construct to heal are important considerations in surgical indications. There is no difference of outcomes between the arthroscopic and the open techniques.
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