Introduction

Les douleurs de la région inguinale représentent une plainte fréquente, même chez des patients jeunes. Une étude épidémiologique récente a montré une prévalence de 5-10% chez une population masculine âgée entre 20 et 50 ans et de 10-15% chez les hommes de 50-80 ans. Chez les femmes, la prévalence des douleurs inguinales est encore plus importante avec un taux de 10-15% entre 20 et 50 ans et légèrement supérieure à 15% au-delà de 50 ans.1
L'anamnèse, un examen clinique méticuleux ainsi que des examens complémentaires adéquats permettent d'établir le diagnostic précis dont souffre le patient, qui est la condition sine qua non pour obtenir le succès thérapeutique désiré.2
Le but de cet article est d'établir la liste des diagnostics différentiels des douleurs inguinales en fonction de leur localisation et de discuter les possibilités thérapeutiques des différentes pathologies.

Diagnostics différentiels

Le tableau 1 et la figure 1 résument les différents diagnostics des douleurs inguinales en fonction de leur localisation.
Douleurs en région inguinale antérieure (région 1)
Les douleurs survenant dans la région inguinale antérieure sont liées à des pathologies intra-articulaires.
Une sensation de ressaut souvent associée à une douleur aiguë à cet endroit est d'origine mécanique et est liée à une déchirure du labrum. Une arthro-IRM permet de visualiser le type et l'étendue de la lésion ainsi que les éventuelles lésions cartilagineuses associées. La lésion du labrum est une pathologie fréquente liée à une dysplasie de hanche, à un conflit fémoro-acétabulaire ou à un traumatisme qui doivent être recherchés.3 En effet, le traitement isolé de la lésion labrale par voie ouverte ou arthroscopique ne permet souvent d'obtenir qu'un soulagement temporaire si la cause sous-jacente n'est pas traitée.4
En cas de dysplasie, une révision arthroscopique de l'articulation permet de traiter les lésions du cartilage et du labrum avant de procéder à une ostéotomie de réorientation du cotyle.5
Dans le cas du conflit fémoro-acétabulaire, les lésions du labrum et du cartilage sont les symptômes du conflit. Le traitement de ces lésions doit intégrer le recontourage acétabulaire ou fémoral afin d'éviter une récidive rapide des douleurs et la progression de lésions dégénératives du cartilage. Un traitement chirurgical précoce, soit par voie ouverte (luxation chirurgicale de hanche) soit par voie arthroscopique, est dès lors primordial.6
En cas de lésion post-traumatique du labrum, survenant le plus souvent suite à une luxation de la hanche mais pouvant aussi survenir après un simple mouvement de distorsion, il est important de rechercher d'autres lésions intra-articulaires : lésion du cartilage, déchirure du ligament rond, nécrose aseptique de la tête fémorale ou ostéoporose transitoire. Les lésions du labrum, du ligament rond qui déclenchent typiquement des douleurs en rotation interne et externe, et celles du cartilage sont parfois visualisées sur une arthro-IRM mais la sensibilité de cet examen est encore imparfaite de nos jours. Pour cette raison, une suspicion clinique en cas de douleur invalidante peut être suffisante pour justifier la demande d'un avis spécialisé et d'une révision arthroscopique de l'articulation dans un but diagnostique et thérapeutique simultané.7
La nécrose de la tête fémorale est facilement diagnostiquée sur une IRM. Elle est visible par une zone d'hyposignal en pondération T1 et T2 et souvent de forme triangulaire (figure 2A). Une suspicion de nécrose doit immédiatement faire prescrire une décharge du membre lésé. Le traitement chirurgical dépendra du stade de la maladie : à un stade précoce (I-II selon Ficat-Arlet), un forage et une greffe osseuse peuvent être indiqués, dans les stades plus avancés (II-III), une ostéotomie intertrochantérienne vise à écarter la nécrose de la zone de charge lorsque c'est possible, alors qu'au stade IV (arthrose, déformation de la tête), seule une arthroplastie permet de soulager le patient.8
L'ostéoporose transitoire de la hanche est une forme d'œdème médullaire diffus de la tête fémorale et de la région trochantérienne bien différenciée de la nécrose aseptique sur les images d'IRM (figure 2B). L'étiologie précise de cette maladie n'est pas connue, mais elle est souvent associée à la grossesse ou à des microtraumatismes répétés. Une limitation de la charge du membre lésé est importante afin d'éviter un risque de fracture de fatigue du fémur proximal lié à l'os porotique. Le meilleur traitement actuel reste l'administration de calcitonine sous forme de spray nasal pendant trois mois au moins. La durée évolutive de la maladie est variable mais peut parfois s'étendre de six à neuf mois.9
L'arthrite septique de la hanche fait aussi partie du diagnostic différentiel. Les patients sont souvent hautement fébriles et présentent des douleurs invalidantes, mais aucun signe inflammatoire local. Le bilan sanguin permet d'orienter la suspicion. Les radiographies standard servent à évaluer le stade d'évolution : si des signes de destruction articulaire sont visibles, le processus est trop avancé pour une conservation de l'articulation et il faut procéder à une résection tête et col du fémur dans un premier temps avec ou sans espaceur aux antibiotiques. Si l'articulation ne montre pas de signes de destruction, un lavage-drainage est à pratiquer en urgence mais l'idéal est de réaliser un lavage arthroscopique éventuellement associé à un débridement en fonction du stade.10 L'administration d'antibiotiques ne doit intervenir qu'une fois les prélèvements microbiologiques effectués afin de connaître précisément les germes et d'instaurer un traitement spécifique.
La coxarthrose peut exister même chez des patients jeunes. Les douleurs sont classiquement localisées dans la région 1 mais peuvent également irradier dans la région 5 ou la face interne de la cuisse. Les radiographies standard ne permettent souvent pas de visualiser les signes précoces alors que l'arthro-IRM montre déjà des lésions.11 Chez les jeunes patients, il est important de diagnostiquer cette pathologie le plus rapidement possible afin de pouvoir traiter la cause sous-jacente et essayer de limiter la progression du processus dégénératif. Toutefois, si les radiographies standard montrent une diminution significative de l'interligne articulaire (figure 3), un traitement chirurgical conservateur n'a plus de sens étant donné que ses résultats sont trop incertains. Dans cette situation, l'implantation d'une prothèse totale de hanche reste souvent la seule alternative.
Douleurs en région inguinale proximale (région 2)
Les douleurs survenant dans la région 2 sont liées à des pathologies du muscle psoas ou à des fractures du cadre obturateur.
Le ressaut asymptomatique du tendon du psoas s'observe chez 10-20% de la population. Si des douleurs sont associées au ressaut, que le patient présente une diminution de la force et des douleurs contre résistance en flexion de hanche, cela évoque par contre le diagnostic de tendinopathie du psoas et/ou de bursite ilio-pectinée qui est souvent associé. Il n'est pas rare que les douleurs irradient depuis la région inguinale (2) en suivant le trajet du muscle psoas jusqu'à son insertion sur le petit trochanter en région 4. Les examens complémentaires ne sont pas nécessaires dans une situation clinique claire. Le traitement consiste en une mise au repos, des mesures anti-inflammatoires médicamenteuses et de physiothérapie. Contrairement aux autres tendinopathies, l'étiologie n'est pas liée ici à un affaiblissement du muscle mais à une rétraction souvent associée à un flexum de hanche. Le traitement spécifique, après atténuation des douleurs, consiste donc en un étirement du muscle psoas. Ces exercices doivent être réalisés quotidiennement jusqu'à résolution du flexum de hanche afin d'éviter une récidive. Une infiltration sous contrôle radioscopique ou échographique peut être utile dans les cas d'évolution retardée. En cas de tendinopathie récalcitrante et après six mois de traitement conservateur bien conduit, une ténotomie arthroscopique peut être discutée.12
Les fractures des branches ilio-/ischio-pubiennes sont associées à un traumatisme clair et sont visibles sur les radiographies standard. Par contre, il faut toujours rechercher une fracture concomitante du sacrum imposant une charge partielle de six semaines ou une cimentoplastie alors que les fractures simples ne justifient qu'un traitement fonctionnel.13
Les pathologies gastro-intestinales, urologiques ou gynécologiques entrent également dans le diagnostic différentiel des douleurs des régions 2 et 3.
Douleurs en région symphysaire (région 3)
Les douleurs de la région 3 sont liées à des lésions de la symphyse pubienne ou des problèmes herniaires de la paroi abdominale.
Les activités sportives provoquant un cisaillement de la symphyse pubienne peuvent entraîner une ostéite pubienne. Il s'agit d'une irritation des structures ligamentaires de la symphyse d'évolution spontanément favorable associée à une diminution de mobilité ainsi qu'une faiblesse des adducteurs et des abducteurs de la hanche. Les radiographies peuvent montrer des érosions, une sclérose ou un élargissement de la symphyse qui sont toutefois souvent vus chez des athlètes asymptomatiques. Il faut également rechercher un dysfonctionnement sacro-iliaque pouvant décompenser la symphyse ou irradiant antérieurement. Le traitement consiste en des mesures anti-inflammatoires puis une rééducation musculaire des fessiers et des adducteurs ainsi qu'une amélioration de la mobilité des hanches. Il faut également traiter les éventuels problèmes sacro-iliaques simultanément. Un traitement par injection, curettage ou arthrodèse de la symphyse a été proposé mais reste exceptionnellement indiqué.14
Les hernies inguinales ou fémorales sont classiques et leur diagnostic est en général aisé. Chez les athlètes, parfois, il ne s'agit pas d'une hernie au sens clinique du terme. Dans ce contexte, il faut penser à la pubalgie athlétique qui est une déchirure partielle des structures tendineuses entourant l'orifice inguinal, c'est-à-dire le tendon conjoint, le droit abdominal, l'aponévrose de l'oblique externe ou du fascia transversalis. Les douleurs sont reproduites par les mouvements d'adduction et de flexion de hanche contre résistance et le Valsalva. L'IRM n'apporte que peu d'informations étant donné que les lésions sont aspécifiques. Elle est par contre utile pour exclure une pathologie sous-jacente plus importante. Le traitement conservateur vise à renforcer les structures musculaires susmentionnées, mais une révision chirurgicale ouverte ou laparoscopique peut être indiquée en cas de persistance des douleurs.15
Douleurs en région inguinale interne (région 4)
Les douleurs de la région 4 sont liées à des pathologies tendineuses des adducteurs ou du psoas.
Les tendinopathies des adducteurs sont la cause la plus fréquente de douleurs inguinales chez les athlètes. Les lésions surviennent en général lors d'un étirement brusque du muscle et une anamnèse de lésions des adducteurs est un facteur de risque significatif pour une récidive dans 30-45% des cas. Chez d'autres athlètes, il s'agit plutôt d'une surcharge chronique, parfois liée à un épisode aigu insuffisamment rééduqué. Le but des radiographies et de l'IRM est d'exclure une fracture-arrachement de l'insertion tendineuse qui survient plus volontiers chez les adolescents. L'IRM permet par contre de localiser la lésion et de quantifier l'importance de l'atteinte myotendineuse. Les adultes souffrent plutôt de déchirures musculaires ou tendineuses.
Un étirement aigu est traité par une physiothérapie antalgique et de préservation de la masse musculaire, suivi d'une phase de réentraînement progressif pour regagner force et endurance musculaires. En cas de tendinopathie chronique, le programme de rééducation est analogue mais s'étire sur une phase de deux à trois mois au moins, d'autant plus longue que la durée de la maladie l'est. Une ténotomie des adducteurs ne doit être envisagée qu'après six mois de traitement conservateur bien conduit et doit être discutée avec le patient sportif en raison d'un risque de perte de force.14
Les lésions des nerfs obturateur, génito-fémoral et ilio-hypogastrique déclenchent également des douleurs en régions 4 et 2. Ces lésions surviennent lors d'une compression à la sortie du petit bassin et sont déclenchées par l'appui sur une zone gâchette (trigger point). Des mesures anti-inflammatoires locales et éventuellement d'infiltration permettent en général de soulager les patients, rendant la décompression chirurgicale rare.
Douleurs en région trochantérienne (région 5)
Les douleurs de la région 5 sont liées à des pathologies tendineuses des fessiers, du tenseur du fascia lata, du pyramidal ou une méralgie paresthétique.
La méralgie paresthétique est liée à une compression du nerf fémoro-cutané latéral au niveau de l'épine iliaque antéro-supérieure ou dans le fascia du tenseur du fascia lata. Elle entraîne une sensation de brûlure et des paresthésies de la face antéro-latérale de la cuisse. Les symptômes se résolvent spontanément avec des mesures antalgiques locales et la décompression chirurgicale n'est indiquée qu'en cas de persistance de douleurs invalidantes.16
Une tendinopathie des fessiers est associée à une faiblesse de ces muscles, diagnostiquée par le test de Trendelenburg. La palpation des insertions pelvi-trochantériennes montre l'étendue de l'inflammation des muscles et la présence d'une bursite trochantérienne d'accompagnement. La clinique est en général suffisamment parlante pour renoncer à des examens complémentaires. Toutefois, après une chirurgie par exemple, il peut être intéressant d'effectuer une IRM afin d'évaluer l'étendue des dégâts tendineux (figure 4).17 En dehors de mesures anti-inflammatoires, il est essentiel de renforcer la musculature fessière par un programme progressif qui doit être continué jusqu'à ce que la force des abducteurs soit parfaitement symétrique. En cas de douleurs persistantes, la charge en fonction des douleurs du membre atteint par des cannes anglaises associée à une infiltration paratendineuse permet d'accélérer la guérison. L'infiltration est toutefois interdite en cas de déchirure musculaire ou tendineuse. Lorsque les fessiers sont déchirés ou arrachés, la réparation chirurgicale est difficile et on doit parfois procéder à un transfert tendineux du vaste externe ne remplaçant toutefois que partiellement la fonction des fessiers.
L'épaississement de la bourse trochantérienne favorise souvent un ressaut douloureux du fascia lata sur le grand trochanter. Dans cette situation, une infiltration, associée à des mesures de physiothérapie anti-inflammatoire et d'étirement, permet d'obtenir un bon effet. Rarement, il peut être nécessaire de procéder à une résection de la bourse trochantérienne, éventuellement par arthroscopie et/ou à une plastie du fascia lata.18
La tendinopathie du muscle pyramidal, liée à une surcharge et à un déséquilibre pelvien, doit être traitée par un étirement et renforcement spécifique mais également par un rééquilibrage global de l'anneau pelvien. Cette entité ne doit pas être confondue avec le syndrome du muscle pyramidal qui est un conflit du nerf sciatique avec un muscle hypertrophique. Les patients signalent des sciatalgies sans douleurs lombaires et une recrudescence des douleurs lors de la mise sous tension du pyramidal. Un programme d'étirement spécifique associé à une infiltration au contact du tendon permet en général de soulager les patients, mais une ténotomie est parfois nécessaire.19

Douleurs variables

Les claquages musculaires, contusions, troubles rachidiens et neurologiques peuvent entraîner des douleurs à des endroits variables. De même, il ne faut pas oublier les lésions néoplasiques qui peuvent provoquer des symptômes variant en fonction de leur localisation ou de leur nature (figure 5).

Conclusion

Une bonne connaissance de l'anatomie de la région antérieure de la hanche est une aide précieuse pour déterminer le diagnostic précis en fonction de la localisation des douleurs. Il importe de rechercher les signes cliniques spécifiques tout en gardant à l'esprit la palette très large des diagnostics différentiels, y compris les pathologies rares comme les tumeurs.